Fatym Layachi - Ici ce n'est pas pareil

Par Fatym Layachi

Une vague de chaleur est annoncée sur tout le pays. Les esprits s’échauffent. Le prix de la chebbakia est au centre des conversations, l’hystérie de ta mère se porte à merveille, toutes les maisons de couture lancent des collections de gandouras et toi tu passes ton temps à chercher ton éventail dans ton sac. Tu te dis que les semaines qui arrivent risquent de paraître bien longues. Et puis, comme souvent ici, il y a un fond de polémiques, de buzz et d’indignations sur les réseaux sociaux. En ce moment, c’est une candidate aux législatives françaises pour la circonscription des Français du Maroc qui choque la Toile. La madame a des positions pour le moins contestables concernant l’inté- grité territoriale du royaume. Sa candidature est donc critiquée et tu trouves ça assez logique sur ce coup-là.

Et puis, en errant sur les réseaux sociaux, tu te rends compte que la plupart de tes compatriotes ont un avis assez tranché sur les élections passées et à venir en France. C’est vraiment l’histoire du mec qui sort son parapluie à Rabat quand il pleut à Paris. Mais là tu as un peu l’impression que le mec n’a strictement aucune idée de la météo locale. Il y a eu tous ceux – dont bien évidemment tu fais partie – qui hurlent au scandale en voyant le nombre d’électeurs d’extrême droite. Bien sûr c’est scandaleux, bien sûr cette idéologie de la haine te donne la gerbe. Mais tu as aussi un peu l’impression qu’on a tendance à oublier où l’on est. Tu te demandes si tes potes, les indignés du clic, poussent les mêmes cris d’orfraie quand des aberrations ont lieu dans le plus beau pays du monde ? Ça ne te semble pas si évident que ça. La préférence nationale les choque en France, mais ici aussi elle existe et ne semble indigner personne. L’éventualité que les conditions d’obtention de la nationalité française soient endurcies les rend furieux ? Mais ici le sujet d’acquisition de la nationalité est tellement opaque que personne n’en parle. L’intolérance à la différence les écœure ? Mais ici elle te semble presque pire. Tu aimerais qu’il y ait autant de gens qui soient outrés à chaque fois que la différence, que l’Autre, est mis en danger, lynché comme cela est déjà arrivé, ou juste montré du doigt. Parce que, bien sûr, la carte postale du plus beau pays du monde tolérant et multiculturel te plaît et te fait rêver. Mais comme toutes les cartes postales, elle est très jolie mais partiellement vraie. Ici, l’Autre aussi existe. Il est noir, il est gay, il est converti, il est femme célibataire, il est handicapé. Il est tous ceux que la bien-pensance de salon et le mauvais usage de la morale accablent. Et puis l’Autre c’est aussi celui qui n’est pas exactement comme nous et que des gens ont encore du mal à accepter. Il n’y a qu’à voir le nombre de potes de tes parents qui sont encore choqués aujourd’hui par la simple idée que leur fils puisse tomber amoureux d’une étrangère. Que leur fille puisse épouser un non-musulman.

Les valeurs seraient donc à géographie variable ? Ça serait donc ça aussi l’exception marocaine. Tu te demandes comment cette schizophrénie est possible. Tu décides d’appeler ton cousin qui, depuis deux semaines, exprime son indignation quotidiennement sur Facebook. Tu essaies de le mettre face à ses contradictions. Droitde-lhommiste là-bas, homophobe ici, laïque sur les réseaux sociaux, hermétique à tout dialogue sur des sujets religieux dans la vie réelle, signant des pétitions pour lutter contre la malaria, incapable de faire preuve d’empathie à l’égard des migrants subsahariens ici. Tu lui demandes comment il gère son dé- doublement de convictions. Et le pire c’est qu’il ne le vit absolument pas comme ça. Il se contente de te dire : “Ici, ce n’est pas pareil”