Edito: De l'huile sur le feu

Par Aicha Akalay

"Je ne milite pas contre un Makhzen puissant avec une stratégie rodée pour me retrouver avec un ersatz de Makhzen anarchique”. La formule, joliment trouvée par un militant du Hirak d’Al Hoceïma pour critiquer les dérives du leader du mouvement Nasser Zafzafi, est une preuve s’il en fallait qu’il ne faut jamais sous-estimer le peuple.

Ce militant comme beaucoup d’autres dénoncent les dérapages dans le langage du zaïm rifain. Et surtout l’absence de concertation dans la prise de décision ainsi que l’exclusion des voix dissonantes. Dans de nombreuses vidéos, Nasser Zafzafi insulte les responsables publics, accuse l’Etat de détourner volontairement les investisseurs d’Al Hoceïma, appelle à l’hostilité contre le wali de la région… et remet en cause la Commanderie des croyants. A-t-il un agenda caché comme le soutiennent les dirigeants des partis de la majorité ? Ses camarades, même les plus critiques, n’y croient pas une seconde. Nasser Zafzafi et ses acolytes sont des enfants de la région, au chômage comme beaucoup de jeunes, et le Hirak a redonné un sens à leur vie. Leurs excès sont ceux de militants emportés par leur cause. C’est-à- dire un ensemble de revendications dont la plupart sont bel et bien légitimes.

Face au Hirak, il y a l’Etat. Représenté d’abord par un ministre de l’Intérieur qui s’est rendu sur place juste après sa nomination par Mohammed VI. Abdelouafi Laftit a essayé de rassurer sur la mise en place du plan de développement de la ville qui a accusé un lourd retard. Il a aussi essayé de déconstruire l’idée d’une militarisation de la région. Enfin, il a accusé “certaines parties” d’instrumentaliser le mouvement de contestation. Sans plus de précisions, ni de preuves d’ailleurs. L’Etat est aussi représenté par le wali, Mohamed El Yaakoubi, et le gouverneur, présents sur place tous les jours, et qui se dé- mènent à faire avancer les chantiers. Enfin,l’Etat est incarné par une majorité gouvernementale qui s’est exprimée dans des termes excessifs, accusant les manifestants d’avoir des revendications séparatistes et d’être financés par des ennemis de l’intégrité territoriale. Là encore sans avancer de preuve et sans décision de justice. Qu’un Nasser Zafzafi se permette des accusations graves, est condamnable. Mais il ne représente que lui-même après tout. Que des partis de la majorité se permettent des accusations tout aussi graves avant même qu’une décision de justice ait tranché est inacceptable. Car ces hommes-là représentent les habitants d’Al Hoceïma, ses militants, vous et nous. D’eux nous devons exiger de la mesure, de l’équité et de la responsabilité.

Les déclarations des dirigeants de partis de la majorité ont d’ailleurs jeté de l’huile sur le feu. La plupart des militants du Hirak, même ceux qui en dénoncent les dérives, ont fait front derrière leurs leaders. Ils ont manifesté massivement jeudi 18 mai dans le calme et la sérénité. Si ces déclarations avaient pour but de légitimer la fin d’un laisser-faire, c’est raté. Il peut être logique pour un Etat qui a épuisé les voies du dialogue de décider que la mobilisation de six mois n’a que trop duré, et que pour éviter l’embrasement et la contagion il faut revenir au calme. Mais ce n’est pas en appelant à une caution d’un gouvernement de façade que l’Etat va y arriver. Saâd-Eddine El Othmani, Rachid Talbi Alami, Driss Lachgar… n’ont aucune légitimité ni crédibilité aux yeux des gens. Même les sections locales du PJD et de l’USFP se sont désolidarisées de leur parti. Voilà une crise importante où le Maroc aurait bien eu besoin d’une classe politique forte, d’élus légitimes, et d’un gouvernement repré- sentatif des Marocains.