Abdelilah Benkirane en était fier. La décompensation des produits pétroliers était la mesure impopulaire mais nécessaire que son gouvernement avait pu prendre. L’État endetté pouvait ainsi le remercier de pouvoir réaliser une économie annuelle de l’ordre de 20 milliards de dirhams. Ce processus de décompensation a abouti en décembre 2015 à une libéralisation totale des prix des hydrocarbures.
Depuis, la rumeur enfle sur l’appétit des distributeurs de carburants, qui ne répercuteraient pas les baisses du prix du baril sur les prix à la pompe (démonstration faite dans notre dossier, page 28). Ces mêmes distributeurs qui ont vu leurs marges exploser depuis. Il a fallu plusieurs semaines d’enquête à nos journalistes pour obtenir la moyenne nationale des prix à la pompe. Les derniers chiffres dont disposait le ministère des Affaires générales et de la Gouvernance, dirigé par Lahcen Daoudi, datent de début 2016. Ces données, qui devraient être mises à la disposition de tous, ont dû être achetées auprès d’un organisme international. Au cours de leur enquête, les journalistes de TelQuel ont été confrontés à une opacité déconcertante. Les aspects réglementaires, les notes et procédures censés gérer cette libéralisation sont difficilement accessibles, voire inexistants, la fixation des prix et des marges n’est pas transparente, les ministres de tutelle — d’abord Mohamed El Ouafa puis Lahcen Daoudi — s’en lavent les mains, et les principaux opérateurs refusent de s’exprimer.
Car il y a bien anguille sous roche. L’État a libéralisé les prix sans prévoir d’organisme de contrôle. Nul besoin de rappeler que le Conseil de la concurrence, qui aurait pu être utile sur ce dossier et jouer un rôle d’arbitre, n’a toujours pas été doté des outils pour agir. De nombreux acteurs interrogés ont peur de s’exprimer. Il est aisé de les comprendre, car il s’agit ici d’intérêts colossaux qui se chiffrent en milliards de dirhams. Et quand intérêts économiques et pouvoir politique sont si étroitement liés, difficile d’y voir clair.
Il faut souligner que l’acteur majeur de ce secteur stratégique n’est autre qu’Afriquia SMDC, co-détenue par les familles Wakrim et Akhannouch. Ce dernier étant ministre de l’Agriculture est puissant politiquement et économiquement. Afriquia a bien sûr refusé de répondre à nos questions. Pourtant, ces interrogations devraient être celles de l’État. Un État démissionnaire quand il s’agit de défendre l’intérêt des citoyens. Rappelons-le, les prix à la pompe ne renvoient pas à des notions économiques abstraites, mais ont un impact direct sur tout ce que nous consommons. Ils touchent tous les secteurs de l’économie, car ce sont des coûts de transport par exemple. La libéralisation des prix a été mal faite, et aucun responsable public ne prend la peine d’éclairer les citoyens, leur expliquer comment ils sont protégés par l’État, et comment ce dernier s’assure que l’anarchie ne règne pas. Encore une fois, la transparence est un luxe refusé aux Marocains.