Il est trop tôt pour juger, mais c’est le moment d’exprimer des attentes. Saâd-Eddine El Othmani a décliné le programme gouvernemental le 26 avril au parlement, et déjà des questions doivent être soulevées. Le Chef du gouvernement a livré un résumé de 300 mesures pour “un renouvellement du modèle de développement du Maroc pour les prochaines années en capitalisant sur le cumul des réformes économiques, sociales et institutionnelles du Royaume”, dit-il. Comment son gouvernement compte-t-il le faire ? Par “la continuité, la poursuite des chantiers”, des termes qui reviennent près d’une soixantaine de fois dans son discours (mouwassala). De rupture, il n’est par contre pas question dans ces mots d’investiture. Or, le diagnostic de la situation du Maroc est là, formulé par des institutions différentes — Banque Mondiale, Cour des comptes, Bank Al-Maghrib, le CESE, le HCP et OCP Policy Center —, arrivant à la même conclusion : il faut une vraie rupture dans notre modèle de développement.
La stratégie de croissance du Maroc s’est essoufflée. Notre modèle, basé sur l’investissement, ne crée pas d’emplois et ne contribue pas à améliorer notre productivité. Le précédent gouvernement s’est accordé le luxe d’ignorer cette urgence. Il serait irresponsable de poursuivre sur la même voie. Les rares voix crédibles dans l’opposition s’inquiètent d’ailleurs aujourd’hui de voir le même scénario se reproduire. “El Othmani est profondément sincère quand il parle de continuité. Au PJD, et parmi les acteurs politiques dominants, on pense que ça ne va pas trop mal dans le pays, et que les changements doivent être apportés par petites touches à travers quelques réformes”, s’inquiète l’élu FGD, Omar Balafrej. Force est de reconnaître que le programme du gouvernement actuel ne répond absolument pas à ces inquiétudes. Il n’est, par exemple, pas question de revoir des plans sectoriels, qui ont pourtant plus de dix ans, et qui ne font l’objet d’aucune évaluation publique ou remise en cause.
Ces derniers mois, la scène politique a été profondément polarisée. Les islamistes d’un côté, les porteurs d’un projet moderniste de l’autre. Les opposants au tahakkoum contre l’interventionnisme du Palais et de son entourage. Or, il y a un débat politique profond à ouvrir et autrement plus vital pour les Marocains : qui est prêt à formuler, défendre et assumer une réforme majeure du pays et qui s’y oppose à la faveur de la continuité. Il est possible de poursuivre ainsi, et de nous comparer à l’Algérie ou à la Libye. Mais il est aussi possible de faire du Maroc un pays émergent. Pour cela, il faut une “ prise de conscience partagée par l’ensemble des parties prenantes”, avertit la Banque Mondiale dans son rapport sur notre modèle économique (lire dossier page 22). Ce gouvernement devra d’abord être jugé sur ce scénario de rupture que tous les sages invoquent.