Samedi soir, il est 21 heures, tu es chez Zee avec quasiment toutes ses cousines. Tu portes un caftan bordeaux à manches courtes, les bijoux de ta mère, des chaussures à talon dorées et une petite pochette perlée.
Ton chignon est aussi impeccable que le sourire que tu vas avoir figé sur ton visage toute la soirée. Vous buvez un verre, vérifiez le rouge à lèvres les unes des autres et envoyez des Whatsapps pour savoir où en sont le reste de vos potes. Vous êtes toutes invitées au même mariage et vous faites traîner le moment pour y aller en tentant de faire tourner vos têtes. Vous buvez des vodkas en spéculant sur ce à quoi ressemblera la soirée. Zee est sûre de s’ennuyer et sa sœur espère enfin rencontrer un mec. Tu finis ton verre cul sec et te lèves, il est temps de vous mettre en route. Vous n’avez pas besoin de chercher l’indication précise sur le plan du carton d’invitation, les dqaiqiya se font entendre de loin. Une dernière vérification sur le miroir avant de laisser ta clé au voiturier, tu es prête à sociabiliser.
Tu attrapes le bas de ton caftan avec ta main droite, affiches ton sourire de circonstance et t’avances vers l’entrée. Une famille en file indienne t’accueille sous le son des taârijate et la lumière des projecteurs. Tu souris, embrasses et félicites tout ce beau monde. La lumière est tellement crue que même Noémie Lenoir aurait mauvaise mine avec un éclairage pareil. La déco est très jolie et tu vois bien que la maîtresse de maison s’est cassé la tête et le porte-monnaie pour d’aussi jolies fleurs. Mais tu n’arrives pas à comprendre comment on peut tout gâcher avec un éclairage de fête foraine. Tu scannes la salle, tu connais la plupart des invités. Tu scrutes les tenues, les colliers et les sacs à main. Vous êtes nombreuses à avoir les mêmes chaussures, déclinées en différentes couleurs. Les mecs sont en costumes sombres et cheveux en arrière. Tu vis dans un monde où l’originalité n’est définitivement pas une des vertus cardinales. Tu te rapproches de Zee, vous vous trouvez une table bien placée pour vous installer et faites signe aux cousines pour qu’elles vous rejoignent. Des serveurs défilent avec plateaux de jus, canapés au foie gras, verrines crémeuses, saumon teriyaki ou macarons multicolores. Tu te demandes si c’est l’heure de l’apéro ou celle du dessert, mais comme souvent ici, ce qu’on préfère ce sont les mélanges. Tu vois tous les jeunes qui se dirigent vers le fond du jardin. Tu le connais bien ce petit manège. L’alcool n’étant pas servi officiellement, le bar est caché. Enfin toi, ce que tu vois c’est surtout un beau bal d’hypocrites.
Les gens qui reçoivent picolent tous, mais quand il y a vraiment un truc à fêter ils font semblant d’être passionnés par le jus de fraises. Mais ils se foutent de la gueule de qui ? Sûrement pas de la tienne que cette entourloupe écœure, et encore moins de celle des vieilles grand-mères qu’il vaudrait mieux arrêter de prendre pour des connes et qui captent toujours tout de toute façon. Alors à quoi ça sert ? À faire semblant, comme souvent ici… Tu ne dis pas qu’il faudrait à tout prix que le champagne coule à flots à chaque fête. Par exemple, quand tu es invitée chez la tante de ton père, tu bois du thé et trouves ça normal. Ça a toujours été comme ça chez elle. Mais là, ce qui te choque c’est le côté hypocrite de la chose, du coup tu passes la soirée au coca light en bouffant tout et n’importe quoi. Il est 3 h 20. La mariée ne devrait pas tarder à refaire une entrée en robe blanche. Tu t’éclipses discrètement. Tes pieds n’en peuvent plus d’être perchés sur douze centimètres de talons. Tu as un peu mal au ventre, le mélange de sushi et de méchoui a du mal à passer visiblement. L’incohérence peut être indigeste.