On ne pouvait trouver meilleur titre à cette chronique que cette parole lumineuse, rapportée par l’historien Jean-Pierre Azéma, à propos de la candidature de François Bayrou en 2002.
Autres mœurs, autre époque ? Absolument pas. Il y a là comme un invariant, une espèce de règle de géométrie politique. Quand un politique dit qu’il n’est ni de droite ni de gauche, c’est qu’il est de droite. Ah bon ? Pourquoi ? Pour la raison suivante : qu’est-ce qu’un homme de gauche ? C’est celui qui fait du clivage l’essence de son engagement politique. Un homme de gauche dit être de gauche et vise son adversaire comme étant de droite. L’infrastructure marxiste n’est pas loin. Un homme de gauche conçoit le monde comme un rapport de production conflictuel, avec le travail (le pôle de gauche) et le capital (le pôle de droite). L’opposition gauche/droite est fondamentale à gauche, car elle exprime l’opposition structurante dans les sociétés bourgeoises industrielles entre les deux bords de l’économie. L’homme de droite, au contraire, ne conçoit pas la société comme un ensemble conflictuel, mais comme un tout hiérarchique. L’homme de droite ne se dit pas de droite, mais du bon sens, du sens commun, de l’histoire, des racines, de l’identité. L’homme de droite ne se voit pas d’un “bord” politique, mais naturellement inscrit dans l’harmonie sociale normale, parfois malheureusement bousculée par les trublions de gauche, qui ne sont pas son symétrique, mais sa marge.
Un des paradoxes de notre époque, c’est la gauche rêvant, à l’encontre de sa vocation historique, d’une politique sans différend ni conflit, toute de consensualisme. Ce rêve social-démocrate l’a anémiée. Une partie de ses troupes historiques se rabat sur l’extrême gauche, qui maintient vive, à défaut d’autre chose, la flamme du conflit classe contre classe. Une autre partie a migré vers l’extrême droite, qui remplace le front classe contre classe par un autre, les nôtres contre les autres.
La configuration présidentielle française actuelle, pour inédite qu’elle paraisse, n’en est pas moins lisible. Il y a des extrêmes, qui veulent maintenir un sens conflictuel à la politique, après tout fidèle à la définition historique de la politique occidentale. Il y a une gauche institutionnelle, qui s’effondre pour avoir mandat après mandat renoncé à la lutte des classes. Il y a une droite institutionnelle, qui peine elle aussi, parce que les “affaires ” l’obligent à se radicaliser, et parce que la radicalisation fait le jeu de la politique comme conflit contre la politique comme consensus. Et il y a un centre, ce fameux ni droite ni gauche, qui est donc de droite.
De quoi Macron est-il le nom ? D’une sorte de méthode Coué politique. Faire comme si le déni du conflit pouvait déboucher sur une société post-conflictuelle. Mais attention, rien ne prouve que l’auto-hypnose du pharmacien Émile Coué de la Châtaigneraie ne marche pas. Comme son nom l’indique, le mouvement de Macron veut prouver la marche en marchant. Une espèce de thérapie douce qui accompagne les transformations technocratiques désormais hors de contrôle populaire, avalisant la dépolitisation finale des sociétés post-idéologiques. Au Danemark ou au Canada, son triomphe serait une simple vérification du consensualisme souriant du Nord. Mais en France, nation politique, donc conflictuelle par excellence, la victoire de Macron sera un tournant. Parce que derrière son syncrétisme, ce qu’il faudrait retenir, c’est la fin de la politique des grands récits, trente ans après sa mort dans les autres démocraties mûres.