Édito - En attendant les barbares...

Par Aicha Akalay

Tout ce qui menace la société de désunion doit être pris avec précaution. L’égalité en héritage est l’un des sujets qui divisent profondément la société marocaine. Pour créer des conditions favorables au débat, chaque acteur doit y mettre du sien et faire preuve de responsabilité. Ceux qui s’opposent à l’égalité en héritage ont imposé leur conviction jusqu’à présent. La loi leur donne raison. Le Coran aussi, estiment-ils. Ils ont des arguments qu’il faut écouter et respecter. Ceux qui défendent l’égalité en héritage méritent le même traitement. L’un des combats de ce magazine est un Maroc où hommes et femmes jouissent des mêmes droits, et nous le portons avec fierté. Ce que nous nous interdisons, c’est de mépriser ceux qui ne partagent pas nos convictions. Il n’y a pas d’un côté des musulmans arriérés, moyenâgeux, et de l’autre des modernistes éclairés et progressistes. Ce que nous voulons voir s’imposer, c’est une nation certes bigarrée, mais qui fait corps, car animée par une seule volonté : faire respecter la dignité de chaque Marocain.  

Abdelouahab Rafiki — alias “Abou Hafs” dans son ancienne vie de salafiste — a courageusement défendu, dimanche 16 avril, sur la chaîne publique 2M, l’ouverture d’un débat sur l’égalité entre les sexes sur la question de l’héritage. Des voix se sont immédiatement élevées pour l’attaquer, comme l’idéologue salafiste Hassan Kettani. Ce dernier a eu l’insulte facile dans un statut sur sa page Facebook, commentée par une armée de “Daechiens”, comme les appellent à juste titre nos confrères de Goud.ma. Car il n’y a pas d’autres termes pour qualifier ceux qui tiennent ces propos : “Celui qui défend l’égalité en héritage est un apostat et son sang doit être versé”. Menaces de mort donc contre les porteurs d’un débat serein. Rafiki voit s’abattre sur lui des sentences de takfir et des appels au meurtre. Un constat terrible s’impose alors : notre société est réellement menacée par des barbares qui ne sont inquiétés ni par les lois de ce pays, ni par ses représentants. En toute impunité, des supports de presse comme Assabil et son pendant électronique Howiyapress déversent leur fiel contre “2M, la chaîne de l’homosexualité” et tous les “laïcs déviants”. Dans ces colonnes réjouissantes, nous pouvons lire ce type de question rhétorique : “Si celui qui insulte un chef d’État est condamné, que doit-on faire à celui qui s’attaque à Dieu et son prophète”.  

Une faune effroyable. Ce qui rend le silence et l’inertie de nos responsables publics d’autant plus inacceptables. Il ne s’agit pas pour ces derniers de choisir leur camp entre islamistes et modernistes, mais entre ceux qui défendent un État de droit et ceux qui s’y opposent. Que disent les responsables PJD sur cette question, eux les représentants légitimes du peuple marocain, comme ils l’ont largement martelé ces derniers mois ? Ces épisodes de crispation jettent en réalité une lumière crue sur la nature du projet islamiste. C’est, intrinsèquement, un projet collectif où l’effet de groupe l’emporte sur les considérations de dignité humaine et de liberté. Le modernisme est, quant à lui, un vécu individuel. On est moderne d’abord pour soi, on aime qui on veut, on s’habille comme on veut, on est libre de ses choix. La modernité qui comprend et intègre la différence de l’autre, voilà notre camp. Et nous le défendrons.