Qu’est qu’un populiste ? Un politicien proche du peuple ? Issu du peuple ? Un morceau du peuple transplanté subitement au cœur de l’élite ? Une parole politique sans brides ni entraves ? Une action publique spontanée et volontaire ? Si les définitions du populisme sont diverses, on s’accorde pourtant généralement à reconnaître le populiste. Abdelilah Benkirane est populiste, Hamid Chabat aussi. Par contre, ni Nizar Baraka ni Saâd-Eddine El Othmani ne le sont.
Sommes-nous alors à la fin d’un cycle populiste particulier au Maroc, ouvert fin 2011 et que la crise gouvernementale actuelle est en train de refermer ? Après le bagout de Benkirane, la réserve d’El Othmani ? Après l’exubérance brouillonne de Chabat, la rigueur technicienne de Baraka ou d’un autre ?
Il est possible que ce soit le cas, et il faudrait alors avancer quelques éléments de compréhension de cette parenthèse populiste qui semble se refermer. La démocratie n’est pas qu’un ensemble de formalités. Elle a aussi une consistance concrète. Il faut qu’au cœur de l’élite sociale percent des éléments issus des classes populaires ou moyennes jusque-là marginalisées. Un populiste, c’est d’abord exactement cela : le miroir, amplifié, du peuple. Ce miroir peut être authentique, comme Chabat, ou mimétique et surjoué, comme Benkirane, mais il faut qu’il reflète l’image que la majorité silencieuse se fait d’elle-même. Une image très souvent revancharde, parce qu’il y a le poids d’une histoire de marginalisation à rattraper. Alors Benkirane, Le Pen ou Trump, même combat ? Pas tout à fait. Les politologues distinguent parfois populisme d’exclusion et populisme d’intégration. Le populisme occidental actuel est un populisme de vieilles démocraties en crise, qu’une partie de l’électorat essaie de guérir par l’exclusion de larges portions de la nation : citoyens d’origine étrangère, riches, intellectuels, minorités confessionnelles, etc. Le populisme marocain fait partie d’une vague populiste des pays du Sud, particulièrement bien représentée en Amérique Latine ou en Turquie. C’est un populisme d’intégration qui tente au contraire de faire rentrer, au risque de bousculer les vieux équilibres, de nouvelles classes sociales au sein de la citoyenneté. Erdogan est porté par les classes moyennes anatoliennes, Hugo Chavez fut poussé par les mulâtres contre les élites blanches et américanisées du Venezuela. Lula au Brésil, Duterte aux Philippines, d’autres encore participent de cette même vague démocratique mondiale.
Mais si le populisme marocain partage les mêmes caractéristiques que ses semblables du Sud, il a aussi une singularité, qui fait que la parenthèse se ferme, du moins aujourd’hui. À la différence des Philippines ou du Brésil, au Maroc le système est dualiste, pas seulement dans les faits, mais formellement. Les urnes ne sont pas la seule instance suprême. Le Palais constitue un puissant contre-pouvoir, qui contre à l’occasion la vague populiste. La Turquie aussi avait ce dualisme. L’armée kémaliste jouait ce rôle de second pilier. Erdogan a fini par la domestiquer, et on voit aujourd’hui la Turquie s’installer (s’enfoncer plutôt) dans un populisme intégral.
La monarchie comme correctrice des poussées populistes des démocraties ? Espérons-le, mais le jeu est difficile et nécessite une grande virtuosité. Encore une fois, la démocratie n’est pas qu’un processus qui sélectionne les plus aptes à diriger un pays. Elle est aussi l’affirmation d’une idée, nouvelle au Maroc, la souveraineté populaire.