Vous le savez, Zakaria Boualem aime beaucoup regarder ce qui se passe dans nos écoles et vous le rapporter dans les colonnes de cet estimable magazine.
Il considère qu’il s’agit d’un aspect important de la construction du Maroc Moderne. C’est un chantier herculéen qui ne saurait être mené à bien sans la contribution très attendue de la génération qui, en ce moment même, peuple les salles de classe sans se douter de ce qui l’attend, la pauvre. Il faut dire qu’elle est un peu confuse, ladite génération. Rappelons que les sciences, qui avaient été arabisées, viennent de rebasculer vers le français, alors qu’on a entre-temps introduit le berbère au primaire, imposé la maîtrise de l’anglais dans le supérieur et déclenché un débat apocalyptique sur la place de la darija dans l’enseignement préscolaire. Avec, comme résultat principal, l’éclosion d’une génération qui communique exclusivement par émoticônes, et dans les grandes occasions par vidéo. Ça doit être ça, la modernité. Ce n’est pas très grave, puisque nous sommes glorieux.
Entrons dans le vif du sujet sans plus attendre, les amis. Le Boualem est tombé sur un petit livre qu’on a fait lire à sa nièce de 10 ans, intitulé sobrement La meurtrière — Al Qatila en version originale —, et qu’il va sans plus attendre vous résumer ci-après. C’est l’histoire d’une maman qui, lors du mariage de sa fille, attrape froid parce que la climatisation ne marche pas. Elle se rend alors à l’hôpital, où on lui explique qu’elle n’a rien de grave, mais qu’on va la garder quand même une semaine, c’est bien. Son fils est malheureux : c’est la première fois qu’il est séparé de sa maman. C’est un peu triste, mais ce n’est rien par rapport à ce qui va suivre. Au cours de son hospitalisation, la maman découvre les agissements diaboliques d’une infirmière sans scrupules du nom de Hana. En toute décontraction, cette femme monstrueuse vend à un réseau inconnu du matériel médical usagé et contaminé. Elle opère également dans le trafic de sang, en plus d’autres méfaits que “Dieu seul connaît”, avouez que ça fait froid dans le dos. Bien entendu, Hana est une femme divorcée : chez nous, le subliminal est explicite. La maman hospitalisée constate tous ces affreux trafics et les dénonce au médecin. Au passage, elle reçoit la visite de son fils, celui qui était triste parce qu’elle était absente. Maintenant, il n’est plus triste : il est en colère parce que depuis que sa maman est hospitalisée, il mange très mal parce que c’est sa sœur qui fait la cuisine. Ce garçon a le sens des priorités, il faut le souligner. Revenons à Hana la mafieuse, puisque c’est l’intrigue principale. Elle amène un jour sa fille de cinq ans à l’hôpital, laquelle chope une infection en jouant avec des déchets médicaux toxiques et en avalant des comprimés inconnus. Sans plus attendre, la petite fille meurt, c’est l’horreur. Extraits de la dernière page, mesdames et messieurs.
Hana : “Ma fille est morte parce que je l’ai négligée, parce que j’ai aimé l’argent plus qu’elle. Et Dieu s’est vengé de moi à cause de tous mes vols, je suis une meurtrière !”. La maman : “Elle me fait de la peine, sa fille était innocente et jolie, mais elle n’a pas su profiter de ce bienfait et Dieu la lui a enlevée”.
FIN DE LA TRAGÉDIE.
Rappelons que nous nous adressons à des enfants de 10 ans et que le tout est illustré par des dessins d’une tristesse infinie, dans le cas où les moins brillants des élèves auraient loupé le côté horrible du texte. Il faut toutefois féliciter l’éditeur (égyptien) d’avoir évité de basculer dans le gore, puisque le trafic de sang n’est pas mis en images explicitement. Son souci de protéger l’enfance est honorable. Attendez, ce n’est pas fini. Pour ceux qui s’interrogent sur l’intérêt pédagogique de ce texte, la réponse est imprimée sur la première page : il s’agit de sensibiliser les enfants… à l’écologie et au traitement des déchets médicaux. Non, ce n’est pas une blague, c’est d’ailleurs le genre de choses que le Guercifi est bien incapable d’inventer. C’est tout, nous sommes foutus, et merci.