En regardant par le petit bout de la lorgnette, il est facile de voir le Front Polisario avec un genou à terre, balayé par des revers sur la scène internationale. À l’Union européenne (UE), le 21 décembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) juge qu’il n’a pas “qualité à agir” pour contester un accord entre le Maroc et l’UE dont les effets s’étendent au Sahara. À l’Union africaine (UA), ses efforts et ceux de ses alliés de moins en moins nombreux n’ont pas permis d’empêcher le Maroc de rejoindre les rangs de l’organisation panafricaine en janvier. Aux Nations unies, il présente un visage belliqueux en maintenant des éléments armés à Guergarate, contre la recommandation du nouveau secrétaire, déjà moins sensible que son prédécesseur au discours séparatiste. S’ajoute aussi le procès de Gdeim Izik, dans lequel vingt-cinq séparatistes sahraouis sont accusés d’avoir assassiné onze membres des forces de l’ordre marocains. Le Polisario, enfin, parti unique d’une république autoproclamée, présidé par Brahim Ghali, lui-même sous le coup de poursuites pénales pour ‘“génocide et crimes contre l’humanité” en Espagne depuis novembre.
Affaibli, certes. Isolé, progressivement. Résolu, néanmoins. Car en dépit de ce que le Maroc revendique comme des victoires — le Front Polisario en fait autant —, les séparatistes appuyés par l’Algérie gardent une capacité de nuisance. Provocations, procès, lobbying… face aux encombrants irréductibles, le règlement de la question nationale est devenu une stratégie très long-termiste, dans laquelle le Maroc conserve un coup d’avance sans parvenir à l’échec et mat.
La RASD toujours chez elle à l’UA
Dans un tweet publié le 20 mars par le compte du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, l’instance dirigée par l’Algérien Smaïl Chergui exprime son “profond regret quant à l’absence du Maroc lors d’une rencontre du CPS, en dépit de sa réadmission à l’UA et d’une invitation à cette réunion” consacrée à la question du Sahara. Pour illustrer sa publication, le CPS partage une photo du siège réservé au Maroc, désespérément vide. La chaise vide, sur laquelle on pensait que le Maroc avait tiré un trait en choisissant de réintégrer “sa famille institutionnelle”. Le Maroc avait tout de même pris soin d’envoyer une lettre consultée par l’agence The Associated Press, dans laquelle le royaume “dit que la question du Sahara occidental est entre les mains du Conseil de sécurité de l’ONU. Les organes de l’UA sont invités à supporter ce processus dans la droite ligne du mandat des Nations unies”. Assister à ce meeting aurait par ailleurs impliqué qu’un diplomate marocain s’assoie physiquement à la même table que les ministres des Affaires étrangères et des Affaires africaines de la RASD.
#PSC members express profound regret at Morocco's absence, despite Morocco's re-admission to the AU & written invitation to the PSC meeting. pic.twitter.com/iJv6mLqlb5
— African Union Peace (@AU_PSD) March 20, 2017
Une mise en scène, donc, tout de même diffusée auprès des 77 000 abonnés du compte du CPS et notamment repartagée par un employé du Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies. Une petite pique sans grande conséquence, mais une attitude fanfaronne qui en dit peut-être long sur la pérennité de la RASD à l’UA, alors que son départ était un objectif à peine voilé du Maroc. Dans une interview au Monde publiée le 8 mars, Khadija Mohsen Finan, politologue spécialiste du Maghreb et chercheuse à l’université Paris I, déclare franchement : “Le Maroc ne peut pas faire sortir la RASD de l’Union africaine (UA). Les pays africains ne veulent pas que la RASD s’en aille. Le Maroc a mené une politique africaine très offensive. Mais il se rend compte que le fait d’entretenir des rapports économiques très étroits avec un certain nombre ne signifie pas qu’ils se plient à sa volonté.” Elle réitère auprès de TelQuel et soupçonne “que les autorités marocaines non plus ne se font pas d’idée. Garantir le départ de la RASD était sans doute un discours à usage interne”.
L’épine dans le pied de l’Europe
À Bruxelles non plus, le Polisario n’a pas dit son dernier mot. “J’ai comme consigne de tirer parti du droit sur tous les terrains possibles pour obtenir l’exécution de l’arrêt de la Cour de décembre 2016”, explique son avocat, Me Gilles Devers. “On ne raisonne pas comme des indépendantistes, mais comme une puissance souveraine”, poursuit-il. Il reconnaît un “regain d’intensité” des activités du Polisario auprès de l’UE depuis cet arrêt de la CJUE sur les accords agricoles. “Devant le Tribunal, en 2015, nous étions les seuls à avoir bossé. La partie adverse n’était pas préparée. Devant la Cour, en 2016, tout le monde était bien préparé en revanche”, poursuit-il. Un stakhanovisme soudain qui témoigne de la prise de conscience de la capacité de nuisance de ces actions en justice, mais qui explique aussi que chacune des parties voit dans l’arrêt de la Cour une victoire pour son camp. Elle oblige en tout cas les deux à réagir. Ainsi, Me Devers nous apprend qu’il est en train “de faire évoluer le dossier en concertation avec l’ONG et le juge britannique” qui mènent la procédure dans le cadre d’une question préjudicielle portant sur les accords de pêche Maroc-UE et dont la CJUE se saisira cette année.
Lire aussi : Accords Maroc-UE: l’heure des choix cornéliens
De son côté, le Maroc mène avec l’UE des discussions techniques en vue de trouver une solution juridique afin de préserver leur partenariat tout en tenant compte des exigences de la Cour. En attendant d’y parvenir, les capitales européennes sont bien embarrassées quant aux éventuels effets immédiats de l’arrêt. D’autant que les relais médiatiques du Polisario veillent au grain. “C’est de bonne guerre, ils pourraient même aller plus loin dans la communication après cet arrêt”, juge Khadija Mohsen Finan. Après avoir poussé la Commission européenne à réagir en envoyant son ministre de l’Agriculture ruer dans les brancards, le Maroc obtient aussi des garanties du gouvernement espagnol. Une semaine après que ce dernier a répondu par écrit à un député Podemos que “les bénéfices commerciaux prévus par les accords euro-méditerranéens entre l’UE et le Maroc ne sont pas applicables au Sahara occidental, car il ne fait pas partie du territoire du Maroc”, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères réajuste le tir en confirmant que l’Espagne “n’a pas changé sa position”. “On ne peut tout de même pas demander à un gouvernement européen de se prononcer à l’encontre d’une décision de justice définitive, d’autant que celle-ci est acceptable”, relève un diplomate marocain, rappelant que l’Espagne “a été à l’avant-garde en se portant partie intervenante au soutien du Conseil européen pour faire appel de la décision du Tribunal de 2015”.
Le Sahara ne passionne plus
Effectivement, même pas besoin de demander pour que la France le fasse d’elle-même. Dans une note du Quai d’Orsay datée du 20 mars et adressée aux eurodéputés français, la diplomatie française reprend argument pour argument la position de Aziz Akhannouch lorsque celui-ci menaçait que toute entrave aux accords agricoles entraînerait un “risque de reprise des flux migratoires que le Maroc, au gré d’un effort soutenu, a réussi à gérer et à contenir”. “Cette note n’est évidemment pas une consigne, puisque les eurodéputés sont libres, mais c’est toujours utile de connaître la position de son pays”, précise Gilles Pargneaux, député européen et président du Groupe d’amitié Union européenne-Maroc. En faisant une interprétation minimaliste de l’arrêt de la Cour, la France se positionne en allié indéfectible du Maroc, mais prête aussi le flanc aux critiques. La note a d’ailleurs été rendue publique par l’ONG Western Sahara Ressource Watch, “notre plus grand cauchemar” pour une source diplomatique marocaine.
À Bruxelles, le Polisario fait — comme beaucoup de monde — du lobbying auprès des parlementaires européens. Ce sont eux qui voteront la proposition que leur soumettra la Commission européenne une fois les négociations techniques abouties avec le Maroc. “Oui, il y a du lobbying du Polisario à Bruxelles, notamment auprès de l’Intergroupe sur le Sahara occidental. On le voit particulièrement au moment de proposer des amendements au Rapport annuel sur les droits de l’homme”, remarque Gilles Pargneaux. “Il reste un noyau dur, mais, au parlement, le rapport de force est largement favorable au Maroc. C’était un sujet d’actualité pendant la Guerre froide. Aujourd’hui, c’est obsolète. Les députés remarquent surtout la souffrance des gens à Tindouf”, poursuit-il. Gilles Devers partage le constat : “Nous n’avons pas la prétention d’influencer un vote. Le travail consiste plutôt à expliquer à des députés les tenants et les aboutissants d’une question qui ne fait plus partie de leurs priorités”. Plus que le Polisario, ce serait donc l’intérêt pour la “cause sahraouie” qui s’est essoufflé.
Le piège Guergarate
Sur un autre terrain diplomatique, celui vers lequel les autres convergent pour régler la sempiternelle question du Sahara, le Polisario semble bien s’être cassé les dents en revanche : New York et le siège de l’ONU. C’est en catimini qu’Antonio Guterres y a reçu, le 17 mars, Brahim Ghali. La rencontre n’était pas inscrite sur l’agenda public du secrétaire général et son porte-parole n’en a fait aucun rapport. Il faut l’œil du journaliste Matthew Russell — fin observateur des allées et venues à l’ONU — pour saisir l’arrivée du chef du Polisario accompagné de Christopher Ross, envoyé spécial du secrétaire général au Sahara dont le mandat se termine fin mars, mais dont la démission avait été confirmée par un haut cadre de l’ONU, pour le plus grand plaisir du Maroc. Ghali est-il venu influer en douce sur le contenu du rapport du secrétaire général sur le Sahara, qui précède le renouvellement du mandat de la Minurso chaque année ? Peu probable, pour un diplomate marocain. “C’est un rapport de transition, sans grand enjeu”, explique-t-il. Christopher Ross confie à Matthew Russell que “le secrétaire général veut relancer les négociations, mais qu’il a besoin d’un geste des deux camps. L’un s’est retiré de Guergarate, l’autre pas. Donc c’en est toujours au point de savoir ce qu’ils [le Polisario, ndlr] vont faire”. Les observateurs s’accordent à dire que le Polisario a en effet été surpris par la manœuvre du Maroc. En l’espace de trois jours, Mohammed VI avait appelé Guterres, pris acte de sa recommandation, retiré les éléments à la frontière mauritanienne, et été salué pour ça par les grandes chancelleries occidentales, laissant le Polisario seul avec ses armes et ses provocations de guérilleros.
La guérilla, l’école de Ghali
Lorsqu’il a pris la suite de Mohamed Abdelaziz en juillet 2016, la question était de savoir s’il saurait convaincre une jeunesse sahraouie fatiguée du cessez-le-feu. C’est toujours le cas, “on ne sait pas ce que représentent les cadres du Polisario pour les Sahraouis, car il n’y a pas d’études”, explique Khadija Mohsen Finan. “La transition s’est faite dans le prolongement, avec une attitude toujours guerrière, et toujours aussi proche d’Alger”, ajoute-t-elle. Difficile à quantifier, une partie de la jeunesse sahraouie, qui vit dans les camps de Tindouf, semble en tout cas suivre cette ligne. C’est ce que montre le chercheur en histoire contemporaine Thomas Vescovi dans un reportage à Tindouf, publié le 20 mars sur Orient XXI. La majorité de la population y a moins de 30 ans. Il y a rencontré des jeunes gens, toujours très attachés à leur “cause”, conscients aussi qu’elle ne passionne plus à l’international, et parfois prêts à prendre les armes pour se faire entendre. “Nous avons eu beaucoup de martyrs, mais tous les jeunes Sahraouis sont prêts à en offrir encore pour que notre cause soit de nouveau entendue”, lui déclare l’un d’entre eux. Le secrétaire général de l’Union de la jeunesse du Polisario avertit aussi qu’une alternative pour cette jeunesse, diplômée et adaptée au terrain, serait de céder aux sirènes des réseaux de trafics en tout genre, ou bien suivre Al Qaïda au Maghreb islamique.
Vous devez être enregistré pour commenter. Si vous avez un compte, identifiez-vous
Si vous n'avez pas de compte, cliquez ici pour le créer