La scène représente le moment du couronnement de la jeune reine Elisabeth II en 1952, avec tout le faste et l’apparat historique qui caractérisent la monarchie britannique. Mi-corps divin mi-corps politique, la souveraine est intronisée dans une cérémonie foisonnante de symboles religieux et historiques qui ont traversé les siècles. Un personnage de la série, agacé par tant de rituels et de symboles antiques, estime que tout ça est fou et inutile, et la réponse de son interlocuteur est sublime : “Au contraire, c’est sain, très sain. Qui veut de la transparence quand on peut avoir de la magie ? Qui veut de la prose quand on peut avoir de la poésie ?”. Cette réplique contient, en quelques mots, les choix cornéliens que tout chef d’État, ministre, candidat ou acteur politique devrait retenir pour entamer son action et imposer son image. Distant ou proche du peuple ? Énigmatique ou translucide ? Maître du temps ou artisan de l’immédiat ?
Pendant longtemps, l’exercice du pouvoir politique était une question de prestige, d’autorité, qui ne pouvait être qu’altière et transcendant le peuple et les sujets mortels. C’était un héritage de ces temps immémoriaux où les fonctions de chef et de “prêtre” se confondaient. D’ailleurs, dans la tradition musulmane, le mot “imam” désigne à la fois un rôle politique et une mission religieuse. Il y a encore quelques décennies, un dirigeant pouvait se comporter comme le chef d’une grande famille, avec une autorité paternelle exercée à l’échelle d’un pays. On pouvait encore s’appeler légitimement “le père de la nation”, et un Mustafa Kemal, par exemple, était plus connu comme Atatürk (le père des Turcs) que par son vrai nom. Un chef politique, même issu du vote démocratique et populaire, devait garder une distance faite de majesté et de supériorité à l’égard de ses propres électeurs. “L’autorité ne va pas sans le prestige, ni le prestige sans l’éloignement”, écrivait le général De gaulle, qui était parmi les derniers, avec Mitterrand, à incarner cette posture en France.
Or, de nos jours, les choses ont beaucoup changé, pour le meilleur et pour le pire. Le développement des réseaux sociaux, la communication réduite au buzz et au règne de l’immédiat et de l’éphémère, l’exigence d’une transparence totale…ont transformé radicalement la manière de faire la politique et de l’exercer. Un dirigeant ou un candidat à une élection est sommé de devenir une produit qu’on “markete” comme une lessive ou une capsule de café. Le mystère, la distance et l’autorité qui nimbaient autrefois les chefs et les dirigeants s’effondrent graduellement pour être supplantés par le viral, l’imitation d’une certaine représentation et idée du peuple. Cette transformation conduit alors au populisme, à la domination de la forme sur le fond et à ce que la politique soit réduite à un buzz, une image ou un tweet.