La salle s’est levée, émue, pour applaudir la jeune sociologue aux cheveux bouclés, entourée de plusieurs membres de la tribu Guich qu’elle a suivie pendant plus de deux ans. À la fin de la projection du documentaire intitulé « Marocains sans terres« , la sociologue insiste pour faire venir devant le public ceux qu’elle décrit comme des « héros« .
Ces habitants du Douar Ouled Dlim, près de Rabat, se battent pour leur droit au relogement depuis 2014. Cette année-là, plus de 36 de leurs habitations ont été détruites en février par les autorités, sans qu’aucune solution de relogement leur soit proposée. À la place de leurs vergers, de leurs champs et de leurs maisons, des immeubles en béton sont construits dans le cadre du projet Hay Ryad, une zone urbaine de haut standing.
Pour le projet, il a fallu privatiser les terres collectives des Guich Loudaya et exproprier ses habitants. Ces terres collectives, concédées par le pouvoir makhzénien à la tribu au XIXe siècle, sont désormais sous tutelle du ministère de l’Intérieur sans que la tribu en ait la propriété.
Depuis les destructions, les habitants occupent « leurs terres » sous des tentes faites de plastique. Héritiers d’une tribu guerrière, ils luttent à coups de manifestations et de recours administratifs. Sans succès. Une lutte dans laquelle s’est immergée la sociologue de l’urbanisme Soraya El Kahlaoui pendant deux ans.
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Documentaire intimiste
Avec une caméra parfois hésitante et souvent utilisée dans des situations d’urgence, Soraya El Kahlaoui capte des moments de détresse et de lutte humaine. « Filmer n’est pas mon métier. Je ne suis pas journaliste, j’ai laissé les habitants me guider, c’étaient eux les directeurs artistiques pendant le tournage« , nous explique-t-elle. « C’est ce qui m’a permis de produire un documentaire intimiste, car je suis rentrée dans leur monde« .
Dans son documentaire Soraya El Kahlaoui choisit de ne pas orienter les prises de parole de ces personnes « exilées dans leur propre pays« . Au contraire, elle les laisse s’adresser directement à la caméra pour exprimer leur rage, comme cette femme qui dit ne plus vouloir reconnaître un Maroc qui ne la reconnaît pas comme une citoyenne. Soraya El Kahlaoui les filme dans leur intimité, dans leurs tentes, pendant les manifestations, dans leur lutte et leurs moments de deuil et de détresse.
Une démarche anthropologique
Avec une voix off pleine de douceur, Soraya El Kahlaoui explique sa démarche. Celle-ci va de son questionnement sur l’accélération du processus d’urbanisation dans son pays, après 10 ans vécus en France, à sa découverte des tentes de fortune abritant des familles entières.
« J’ai eu une démarche anthropologique où je m’immerge dans un camp, celui des habitants dans leur bataille contre l’État, pour pouvoir comprendre leur discours et entrer dans leur perspective« , nous explique la sociologue. Elle décrit un terrain difficile où il fallait gagner la confiance de ces habitants pour raconter leur histoire. « Et puis d’un côté éthique, le camp de l’État n’a pas besoin de mon documentaire pour être mis en lumière« , assume-t-elle.
Sur son site, il est néanmoins possible d’avoir accès à tous les documents des autorités pour retracer l’histoire. « La législation est floue et mouvante« , conclut Soraya El Kahlaoui lorsqu’elle essaie de découvrir pourquoi certains habitants ont été indemnisés et pas d’autres. « C’est fait exprès, afin d’embrouiller les habitants, la justice, les associations et les journalistes« .
Au total, 126 personnes n’ont pas été indemnisées, car ce sont des enfants de mère « guichiya« . Ils ont pourtant reçu une convocation pour relogement en 2006. Leur mise à l’écart est contraire à la circulaire de 2009 du ministère de l’Intérieur qui avait reconnu aux femmes le droit de bénéficier au même titre que les hommes des opérations de cessions des terres collectives.
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Soraya El Kahlaoui ambitionne de placer ce documentaire dans une trilogie sur les conséquences de la colonisation et de la modernisation sur les structures traditionnelles. « L’idée est de revenir sur l’axe Rabat-El Jadida avec deux autres documentaires pour revenir sur la destruction de la petite paysannerie par la modernité et le développement« , nous explique-t-elle. On attend la suite.
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