La demande marocaine d’adhésion à la Cedeao n’est que la suite logique des efforts du pays pour retrouver ses fondamentaux historiques et géographiques. On s’est habitué à considérer les pays selon des axes est-ouest. L’Europe du Nord, les pays latins, le Maghreb, rive Nord, rive Sud… cette conception géopolitique a sans doute ses raisons, mais elles sont de moins en moins valables. Rappelons d’abord que jusqu’à la moitié du siècle dernier, la conception Nord-Sud était largement dominante. La France s’intéressait plus à l’Afrique qu’à l’Allemagne. C’était encore l’ère coloniale et postcoloniale certes, mais il existait une rationalité sous-jacente à cette structuration du monde en tranches Nord-Sud : les biens, les langues, les cultures se déplaçaient selon cet axe. Il a fallu toute une révolution mentale pour replacer les différents pays dans un nouvel environnement, latitudinal : les différents pays occidentaux, jusque-là largement africains et sud-américains, se découvrirent européens, à mesure que les pays du Sud se découvraient non alignés.
Le rêve maghrébin a fait partie de cette transformation mentale. Le Maroc, pendant des siècles bloqué à l’est par les Turcs ottomans et vivant des circuits commerciaux transsahariens, se découvrit maghrébin, voué à l’unité avec ses pays voisins et frères. Cela aurait pu se faire, cela se fera sans doute un jour lointain. Mais plus d’un demi-siècle après les indépendances, et face à l’échec du rêve maghrébin, la demande d’adhésion à la Cedeao n’est après tout qu’un retour à des invariants historiques marocains.
L’étonnement qui ressort de cette demande vient de son caractère foncièrement anti-20e siècle : en effet, les unions du siècle dernier émanaient inconsciemment de l’idéologie des États-nations. On s’unifie parce qu’on se ressemble. On parle la même langue ? Qu’on fasse un même pays. La même ethnie ? La même religion ? Alors le même État ! Ce fut la motivation sourde du nationalisme arabe, et de son sosie local, le nationalisme maghrébin. L’adhésion du Maroc à la Cedeao, si elle se concrétise, excipera d’une autre vision : collaborer dans la complémentarité socioéconomique, non dans l’identité culturelle ou ethnique.
Si l’axe de cette union n’est pas ethnique ou linguistique, quel sera-t-il ? L’Afrique de l’Ouest, depuis Tanger jusqu’à Lagos, est depuis des décennies dans un processus de littoralisation. Ce processus se poursuit et s’accélère avec l’exode rural. Les populations se déversent sur la façade océanique. Les richesses, les opportunités, les grands chantiers de demain, c’est sur la côte qu’ils seront, malgré les nécessaires péréquations qu’on tentera pour rééquilibrer les pays. Tout l’effort du siècle dernier en vue de redonner à l’intérieur une place centrale — les déplacements de capitale (d’Abidjan à Yamoussoukro, de Lagos à Abuja), le discours antilibéral et la continentalisation — est à revoir. La façade atlantique de l’Afrique est une des autoroutes du 21e siècle. Elle se branchera sur d’autres autoroutes, dont la rocade atlantique européenne, qui va de Hambourg au Portugal.
La Chine projette sa nouvelle Route de la soie à travers le Vieux monde. L’Eurasie est aujourd’hui zébrée de grands projets chinois d’infrastructure. Cette projection de puissance atteint l’Afrique. Les pays africains doivent proposer leur version locale de la Route de la soie. L’une d’elles est cette autoroute afro-atlantique que le Maroc cherche à construire avec les autres pays de la Cedeao.