Tu as passé une grosse partie de l’après-midi chez le coiffeur à te faire pomponner, manucurer et maquiller, tu as emprunté des bijoux à ta mère, tu as mis un caftan et tu t’apprêtes à sourire toute la soirée : tu es invitée à un mariage.
À peine arrivée, tu revois plein de gens que tu n’as pas vus depuis des mois, à qui tu demandes ce qu’il y a de neuf et à qui tu racontes un peu ta vie. Ils te disent qu’ils sont au top. Tu dis que tu vas super bien. Ce n’est pas totalement vrai. Et alors ? Se plaindre ce n’est pas très poli en soirée. Tu cherches du regard des gens de ta famille pour t’asseoir à leur table. Tu repères ton oncle. Il a l’air de s’être déjà lancé dans de grandes discussions vaseuses. Ta tante n’est pas loin. Elle mange et scrute les bijoux autour d’elle. Tu vas la rejoindre. Autour de toi, tous les invités ont l’air ravis.
Pour l’instant la soirée se passe à merveille. Le champagne coule à flots. Les jus sont colorés. Les briouate et les sushis s’enchaînent assez naturellement. La musique est entraînante. Tout va bien. Les zgharite se font entendre. La mariée arrive. Elle est sublime. Elle a l’air folle d’amour et de joie. Son bonheur est presque contagieux tant il fait plaisir à voir. Le marié a les yeux qui brillent. Il est heureux et émerveillé. Pour lui, c’est un peu les mille et une nuits ce soir. Il faut dire qu’il est norvégien, alors, forcément, voir sa chérie sur une âammaria, ça l’émerveille ! Ta tante applaudit et, dans un sourire, elle te dit : “C’est super mais, tu vois, moi je pourrais pas”. Mais qu’elle ne pourrait pas quoi ? Arrêter de manger des mini-pastillas de manière compulsive ? Visiblement il ne s’agit pas de ça, puisque, après une petite bouchée, elle continue de t’expliquer son point de vue : “Je ne pourrais pas marier ma fille à un étranger”. Tu trouves cette phrase assez saugrenue tant sur le fond que sur la forme. Tu hallucines un peu et ça doit se voir sur ta tête vu que ta tante se met à se justifier. Et là elle mélange la tolérance, l’ouverture d’esprit, le patriotisme, les chocs culturels et tout plein d’autres concepts. Tu n’es pas sûre de tout comprendre, mais ce qui est sûr, c’est que ça n’a pas grand-chose de cohérent.
En gros, vivre la mondialisation et tous ses avantages à fond, envoyer ses enfants étudier à l’étranger, être hyper fière de la multitude de stages aux quatre coins du monde, tout ça elle adore. De là à appliquer cette ouverture dans sa vie privée, il y a visiblement un fossé. Ta tante est formelle : sa fille ne pourra jamais épouser un étranger. C’est juste hors de question. Mais pourquoi et comment elle en arrive à des conclusions aussi radicales ? Est-ce que tous nos compatriotes mâles sont forcément exemplaires ? Est-ce qu’il ne peut pas exister de salauds musulmans ? Tu ne penses pas. Alors de quoi s’agit-il ? Complexe de supériorité ? Peur de l’autre ? Dans les deux cas tu trouves ça un peu effarant. L’idée de la supériorité d’une race, d’une nationalité ou d’une religion te rappelle tout de même les heures les plus sombres de l’histoire. Et quant à cette peur de l’autre, tu la trouves un peu saugrenue, surtout venant d’un peuple qui se plaint régulièrement d’en être victime. En gros, on reproche aux électeurs de Trump de nous prendre pour des êtres bizarres, mais tout ce qui n’est pas comme nous est bizarre à nos yeux. Oui c’est contradictoire, mais dans le plus beau pays du monde, on n’est jamais à une contradiction près.