Zakaria Boualem se souvient très bien, c’était à la fin du mois de septembre. Le Maroc était en ébullition : une noble activité démocratique avait plongé dans la transe les habitants de cette paisible contrée, un peu étourdis par l’intensité des débats.
On nous demandait de voter, si possible avec enthousiasme, c’était très beau. Rappelez-vous les amis. Certains faisaient alors campagne pour le PAM, estimant qu’il fallait faire barrage au PJD, lui-même considéré par d’autres comme un barrage nécessaire à la corruption. Une poignée s’investissaient pour la FDG, qu’ils voyaient comme un rempart contre les ténèbres, tandis que de nombreux électeurs battaient le pavé pour l’USFP pour des raisons familiales, ou pour le RNI pour des raisons inconnues. Bref, nous débattions. Nous avancions des arguments, parlions de vote utile, analysions l’équilibre des pouvoirs, décortiquions le mode de scrutin et multiplions les analyses, on se sentait des citoyens du monde. Puis, le 7 octobre, nous avons voté. Enfin, une petite partie d’entre nous : la majorité avait alors estimé que cette affaire ne méritait pas le déplacement.
Cinq mois plus tard, voici ce que nous avons : rien. Walou. Ni PAM, ni PJD, ni RNI ni quoi que ce soit d’autre. Pas de gouvernement, et merci. C’est très surprenant, même pour quelqu’un comme Zakaria Boualem. Il ne sait pas trop quoi en penser, il est un peu confus. Non pas qu’il place de grands espoirs dans ce gouvernement — qui par ailleurs n’existe pas —, mais c’est une question d’habitude. Nous avons l’habitude d’avoir un gouvernement, et il est très angoissant de changer les habitudes, voilà tout. Il va vous livrer sans plus attendre ses réflexions, n’attendez rien de brillant, il n’est pas très en forme, et merci. Il y a deux hypothèses.
Hypothèse 1 : Nous avons atteint le stade supérieur du développement. Pendant que les arriérés s’obstinent à produire péniblement des biens comme au 19e siècle, ou des services, nous avons basculé dans la vraie modernité et nous misons tout sur notre image. Elle est notre capital le plus précieux. Pour s’en convaincre, il suffit de constater avec quelle énergie les plus patriotes d’entre nous défendent cette fameuse image lorsqu’elle est attaquée par un documentaire sur une chaîne française en seconde partie de soirée, ou par un film de fiction. Il existe en effet chez nous des projets qui n’existent que pour qu’on puisse dire qu’ils existent, vous pouvez faire la liste tout seuls. Donc nous avons voté, le peuple s’est exprimé, personne ne l’a contraint, nous avons compté les voix, proclamé les vainqueurs, et c’est tout. Le tout sur un tel fond de résignation générale que personne n’y trouve matière à s’émouvoir, tout va bien.
Hypothèse 2 : Nous avons mal voté. Il est fort possible que nous nous soyons trompés, nous avons coché les mauvaises cases, et nous avons plongé le pays dans l’embarras. Mais par respect pour les choix souverains du peuple, personne n’ose nous le dire clairement, c’est le genre de chose qui arrive chez nous. Quelqu’un dit une bêtise à table, en plein repas de fête, mais, par bonne éducation, personne n’ose le reprendre pour ne pas le vexer. Il est donc fort possible que cette histoire d’élection ait donné des résultats insensés, qu’elle impose des alliances impossibles, ou, pire, des coalitions contre-nature a3oudoubillah. Dans ce cas, nous sommes coincés, mais c’est bien de notre faute, et d’ailleurs c’est bien connu, nous ne sommes pas prêts pour la démocratie.
Conclusion : Voilà. Zakaria Boualem vous a proposé deux hypothèses, les plus perspicaces auront noté qu’elles sont contradictoires, ce qui n’est pas étonnant vu l’état de confusion générale dans lequel nous barbotons. Vous pouvez vous faire votre propre idée, le Guercifi doit vous laisser, les huitièmes de finale de la Ligue des champions sont passionnants cette année.