Il est 20 h, tu as un bouquet de fleurs à la main, ton teint est impeccable et tu as sorti ton plus joli sourire : tu es invitée chez ta nouvelle voisine d’open space au bureau. Ton hôte du soir vient tout juste de s’installer dans le plus beau pays du monde, elle ne connaît pas grand monde et, du coup, elle vous a invités, avec quelques collègues, pour boire un verre. Tu trouves ça plutôt sympa son envie de s’intégrer, de sociabiliser. Et puis, tu te dis que ça doit être assez particulier de débarquer ici, dans cette société tellement codifiée. Tu te demandes comment tu trouverais ce monde si ce n’était pas le tien. Quel regard tu porterais sur cette comédie humaine pleine de non-dits et de règles tacites ? Tu es curieuse de découvrir ses premières impressions sur sa vie quotidienne.
En personne logique, elle t’a envoyé son adresse par texto. Ça paraît assez banal. Un nom de rue, un numéro, un étage. Logique donc. Mais pas forcément si évident dans le plus beau pays du monde. Et puis, c’est une des premières fois où on te donne ce genre d’indications. Tu as plus l’habitude d’aller au troisième immeuble sur la droite après la Banque Populaire, ou de tourner à la deuxième rue à gauche après la pharmacie. C’est plus visuel. Du coup, ce soir tu as presque l’impression de partir à l’aventure. Heureusement, ton iPhone et ses applis te permettent de situer où se trouve cette rue. Bien évidemment, tu as un peu galéré avant de trouver la bonne orthographe. Mais tu finis par y être dans cette rue. Il ne reste plus qu’à chercher le 170. Mais là encore ce n’est pas simple. Ça passe du 46 au 71 sans la moindre logique ni cohérence. Et ça, c’est quand il y a un numéro. Sinon les immeubles ont des noms que tu imagines aisément être ceux d’un des enfants du promoteur. Un côté pair et un côté impair ? Non aucune utilité. Ici, on aime le mélange des genres. Des numéros qui se suivent dans l’ordre ? Ça semble assez secondaire. Tu te demandes un peu qui s’occupe de la numérotation des rues et surtout selon quelle méthodologie. Mais ce soir tu es quasiment convaincue que ce poste est vacant. Tu as presque envie de croire que le type qui construit un immeuble y met son numéro fétiche ou la date de naissance de sa mère sans se poser plus de questions. Ça aurait au moins l’avantage d’être drôle. Et puis d’abord, les noms de rues font référence à quoi ? À qui ? Entre les fautes d’orthographe et les noms d’illustres inconnus, là aussi tu te demandes selon quelle logique toute cette signalétique a été conçue. Tu te dis que ça serait tout de même sympa s’il y avait ne serait-ce qu’une petite ligne pour te dire de qui il s’agit quand c’est un nom d’homme, et puis tu te dis que ça serait bien qu’il y ait plus de référence à des figures de l’Histoire du Maroc. Enfin bon, tu t’égares et ce n’est pas le moment. Là, ta mission c’est de trouver le 170. Et ce n’est pas encore gagné. Tu n’en peux plus de cette errance. Tu as l’impression de courir après un mirage.
Tu cherches juste le numéro 170 d’une rue. Mais il se trouve que ni Google Maps, ni le vendeur de cigarettes, ni même le gardien de voitures — qui connaît pourtant les noms de quasiment tous les habitants du quartier — ne savent où pourrait se trouver cette adresse. Tu finis par appeler ton hôte. Tu lui demandes de t’indiquer par rapport à une banque, un salon de coiffure ou un commerce. N’importe quoi qui soit identifiable et visible finalement. À bien y regarder, les rues ressemblent à ce pays. Une signalétique plus qu’approximative, une logique aussi impénétrable que les voies du seigneur, mais comme au final tu finis toujours par trouver des points de repère, tu as l’impression que ça fonctionne. Le hasardeux est un peu la norme par ici.