Un pays sans gouvernement depuis plusieurs mois — cinq aujourd’hui, et gageons qu’en mars on n’en aura toujours pas — ce n’est plus si grave dans le Maroc du 21e siècle. La preuve par les faits. Quant aux médias, ce quatrième pouvoir censé informer et alerter, ils alimentent un écran de fumée en posant toujours la même question : qui est responsable du blocage ? Beaucoup pointent du doigt Abdelilah Benkirane : trop confiant, trop rigide, pas assez conciliant. Pas assez Makhzen-friendly tout simplement. Après tout, pour qui se prennent-ils, ses 1,6 million de votants et lui, pour espérer avoir voix au chapitre ? Le gouvernement doit être composé par Aziz Akhannouch, qui a exigé le retrait de l’Istiqlal et maintenant impose le ralliement de l’USFP à la majorité. Sûr que ce gentleman aura l’élégance de laisser Abdelilah Benkirane à la tête du gouvernement. Ce dernier, qui avait commencé à tonner et à dénoncer, ne demande pas mieux. Tout juste insiste-t-il pour que l’on respecte le souab, c’est-à-dire qu’on y mette les formes. Les socialistes, trop durs à avaler ? Alors, d’accord pour qu’ils rejoignent la majorité mais sans maroquins, ou l’inverse. On n’en est plus à un détail près. “Quand on rentre dans Dar Al Makhzen, on découvre très vite la mesure de son poids”, concède volontiers Benkirane.
Toutes ces considérations cachent une vérité amère : cinq mois d’attentisme ont fait triompher l’idée que la démocratie n’est pas forcément une bonne chose. Les outils dont on dispose au Maroc pour l’exercice démocratique — principalement les élections — ne sont pas respectés. Leurs résultats sont de fait ignorés. Ce n’est pas grave, le pays est debout, et la rue est vide. L’esprit de la Constitution de 2011 qui entérine le choix démocratique est truandé. Encore moins grave, le roi est là pour diriger. Nul besoin d’être dans les secrets des dieux pour affirmer que si Benkirane est isolé, c’est bien le Palais qui l’a décidé, comme il décide par la voix d’Akhannouch de donner du poids à la formation de Lachgar, elle, isolée des électeurs. Finalement, Benkirane n’aura servi que d’aspirine aux Marocains. Une concession faite au peuple pour qu’il reste calme. Mais sûrement pas pour qu’il prétende désigner ceux qui vont gérer ou gouverner le pays. Il fallait convaincre que la démocratie n’est finalement pas une nécessité. Ces derniers mois, on y est arrivé. Le roi est face à son peuple, et le peuple face à son roi. Plus d’intermédiaire, et moins de fusibles.
Cette configuration du champ politique inquiète certains partis. Non pas parce qu’elle piétine “le choix démocratique”, une constante sacrée selon Mohammed VI*, mais parce qu’elle expose la monarchie à la colère de la rue. Nous pouvons même faire emprunter à Benkirane une formule de Camus : “Je crois à la démocratie, mais je défendrai la monarchie avant la démocratie”. En réalité, tous ceux qui connaissent les rouages de l’État, qui ont appris grâce à l’exercice du pouvoir à connaître le Maroc et ses “locataires”, partagent le même choix. Abdelilah Benkirane a la préoccupation que tous les premiers ministres de Mohammed VI ont eue : ne jamais affaiblir la monarchie. Entre développer la démocratie et préserver la monarchie, nos hommes politiques ont choisi. Il est par contre regrettable que la monarchie accepte d’être mise en équation avec la démocratie.
*discours du 9 mars 2011