Dans une conférence organisée à Casablanca, il y a quelques semaines, Mohamed Sassi, intellectuel et respectable dirigeant de la FGD, évoquait la perception de la gauche à l’égard de la religion et sa place dans la société marocaine.
Sassi expliquait que son parti est attaché aux valeurs de la laïcité et qu’il aspire à une société sécularisée, mais comprend parfaitement qu’il faut beaucoup de temps pour y arriver. Il propose alors, pour forger un consensus avec les conservateurs, de se retrouver sur un terrain d’entente qui satisfasse tout le monde : l’ijtihad élaboré par Allal El Fassi. Selon Sassi, les idées formulées notamment dans Al naqd al dhati (L’autocritique), livre fondamental de Allal El Fassi, conviendraient comme un point de départ pour régler des questions problématiques qui divisent notre société. La référence pourrait étonner, mais elle est pertinente. Ainsi, on a souvent tendance à l’oublier, mais Allal El Fassi n’était pas seulement une figure historique du nationalisme marocain, ni exclusivement le fondateur et zaïm de l’Istiqlal, mais il était aussi, et surtout, un intellectuel et un réformateur religieux, parfois en avance sur son temps.
Allal El Fassi était un personnage complexe, pétri de paradoxes et de contradictions. Elevé et éduqué dans la tradition soufie, il était hostile aux confréries et à leurs dirigeants, porte-étendard du salafisme et du retour aux traditions et pourtant défenseur de positions éclairées et avant-gardistes sur les libertés et les droits, monarchiste convaincu mais préconisant la restriction de ses pouvoirs… Allal El Fassi était un homme d’exception et de paradoxes. Il appartenait au cercle très restreint des hommes politiques marocains qui savaient mettre leurs idées et écrits au service de leur cause. Une catégorie de dirigeants et de militants qui s’est complètement évaporée et a disparu au fil des années dans notre pays.
Dans les livres de Allal El Fassi, et notamment Al naqd al dhati, on retrouve des idées et des positions audacieuses et détonantes. C’est ainsi que Si Allal, et dès les années 1940, a demandé l’interdiction de la polygamie au Maroc. En partant d’une lecture des textes religieux, qui prend en considération l’évolution de la société, la dignité de la femme et la nécessité d’établir une véritable justice au sein de la famille, il plaidait pour mettre fin à cette pratique. Une position iconoclaste, venant d’un alem, et à une époque où la polygamie était un usage normal et indiscutable. C’est au nom de cette même interprétation éclairée des textes religieux qu’il s’est opposé au mariage des mineurs et a demandé d’établir une loi qui fixe un âge minimum légal pour pouvoir établir cette union. Dans les pages lumineuses de ses livres, qu’il faut placer dans leur contexte historique et culturel pour apprécier leur audace, il s’attaque aux idées figées et au conservatisme qui altèrent l’évolution du pays. Il défend alors l’accès de la femme à l’éducation, à la fonction publique, au commerce et au militantisme politique. Des positions et des valeurs qui sont toujours d’actualité, et qui font de Allal El Fassi un immense intellectuel et un grand dirigeant politique.