Arrêtez tout, les amis, nous avons un problème. Zakaria Boualem a découvert les chiffres officiels de l’emploi, c’est phénoménal. Figurez-vous que 60% des actifs n’ont pas le moindre diplôme. Tout s’éclaire soudain. La plupart des gens qui s’affairent autour de vous n’ont jamais eu de formation sérieuse, personne n’a jamais validé leurs compétences, le tout en parfaite décontraction mesdames et messieurs. Depuis des années, notre héros se demande pourquoi nous sommes frappés du syndrome de la prise penchée, il vient d’avoir un début d’explication. Rappelons que le syndrome de la prise penchée est un mal qui frappe nos constructions — même les plus glorieuses — et qui semble interdire à nos bâtisseurs de placer sur un mur une prise électrique ou un interrupteur de manière rigoureusement horizontale. Il y a une seconde information remarquable dans l’étude publiée cette semaine : plus de deux tiers des salariés n’ont pas de contrat de travail. Applaudissements s’il vous plaît. Rien n’est formalisé, nous barbotons ensemble dans les eaux boueuses du grand flou national en nous félicitant de notre bonne fortune, c’est magnifique.
Mais Zakaria Boualem vous sent protester de l’autre côté de la page. Après tout, pourquoi imposer cette vision académique et vieillotte du monde du travail ? Pourquoi faire une obsession de cette histoire de diplôme et de contrat ? Cette passion du formalisme n’est-elle pas un peu dépassée, au moment où les réseaux sociaux font la loi et alors que nous retrouvons notre place en Afrique (ce dernier argument est un peu bizarre, mais il fallait placer l’Afrique quelque part, c’est la mode) ? Et l’auteur de ces lignes, lui-même, qui donne des leçons sur un ton pédant depuis des années, qui multiplie avec une jubilation cruelle des théories en quantité abondante et de mauvaise qualité, n’est-il pas incapable de produire un diplôme attestant de sa propre légitimité ? Il faut être fair-play : vous avez raison. On s’en fout. Ces chiffres n’ont aucun sens. Nous n’avons besoin ni de diplôme ni de contrat. Nous n’avons donc même pas besoin d’État, en fait. C’est une découverte extraordinaire, on peine encore à en mesurer les conséquences sur les différents aspects de notre vie quotidienne, il faudra une étude plus poussée pour cela. Mais une chose est claire : nous construisons nous-mêmes notre propre modèle, insensible aux modes et affranchi des épouvantables affres de l’imitation aveugle des modèles occidentaux. L’informel, voici notre véritable force. Identifier l’objectif de loin, naviguer à vue jusqu’à obtenir quelque chose qui lui ressemble vaguement, et s’arrêter soudain, quand l’énergie manque. Le tout sans méthode castratrice ni procédure encombrante. L’improvisation, comme Miles Davis.
Oui, nous le savons déjà, nous sommes un pays de jazz. Il suffit de regarder comment les Européens font pour organiser un mariage : des réunions, des débats, des mails, des plannings, des plans de table, des programmes musicaux, et des codes de réservation d’hôtel. Nous y arrivons aussi bien sans tout ce tapage. Nous ne savons jamais combien d’invités vont venir, mais personne ne manque jamais de rien une fois sur place. Nos enterrements sont encore plus spectaculaires en termes de logistique. L’information circule, les gens surgissent, les tolba déboulent, les tables s’installent, on se demande ce qu’avait prévu tout ce monde si le défunt n’avait pas choisi ce jour pour passer de vie à trépas. Voilà une expertise validée par aucun diplôme, aucun contrat de travail. C’est bien ce que Zakaria Boualem soupçonnait depuis des années : nous sommes glorieux. C’est tout, et merci.