Fatym Layachi - Façade halal

Par Fatym Layachi

Ce mardi matin, comme très régulièrement, tu as confié tes ongles à une jeune femme qui va les faire briller. Ce serait tellement pratique si tu pouvais lui confier ta vie d’ailleurs. Le bout des doigts c’est déjà un bon début. Alors donc, tu es là, entourée de femmes en quête du brushing parfait, sauf que cette fois, tu n’es pas dans ce salon dans lequel tu as tes habitudes. Tu as suivi les recommandations de Zee et tu es dans ce nouvel endroit qui vient d’ouvrir, “où tout le monde va” selon elle et qui fait — toujours selon Zee — des soins incroyables à l’oxygène. Toi, les nouveaux lieux, qu’il s’agisse d’un bar à ongles ou d’un bar à salades, tu aimes bien tester ne serait-ce que pour pouvoir dire “j’y étais”, en bonne victime du marketing que tu es. Et pour l’instant, cette nouvelle adresse convient tout à fait à tes mains. Les produits sentent bon et on t’a servi un thé au jasmin. Arrive le moment crucial du choix de la couleur de ton vernis.

Mais là, tu es assez surprise par la question qui t’est posée : “Mademoiselle, vous voulez un vernis normal ou un vernis halal ? ”. Un peu déroutée, mais très honnête, tu demandes ce que c’est qu’un vernis halal. Tu n’as jamais entendu parler de ça ! Et là, la jeune femme t’explique le plus sérieusement du monde que c’est un vernis perméable qui laisse passer l’eau des ablutions. Tes yeux s’écarquillent. Tu penses à une blague, mais ça a l’air très sérieux. Tu n’es peut-être pas une pro des rouages de la certification halal, mais tu as un minimum de bon sens. Alors tu te demandes comment, d’une part, une pellicule de quoi que soit qui recouvre ton ongle pourrait laisser passer l’eau, mais, surtout, tu aimerais connaître le degré d’importance de l’eau sur la surface de l’ongle pour la sacralité des ablutions. Tu n’as surtout aucun souvenir de ta grand-mère, pourtant pieuse, pratiquante et manucurée, se posant ce genre de questions. Mais bon, visiblement, on en est arrivé là. Le marketing faussement religieux a réussi à apporter des réponses à des questions que personne ne s’était jamais posées. La nature a horreur du vide comme on dit, il se trouve que notre cerveau aussi ; il est donc assez facile de nous faire croire à peu près tout à condition que ce soit enveloppé de piété. Ne sachant que répondre au dilemme du vernis à ongles, tu finis par décider de laisser respirer tes ongles quelques jours et quitter le salon. Tu appelles Zee pour lui raconter ton étonnement du jour. Elle n’a pas l’air surprise. “Ça se fait de plus en plus”, selon elle. Zee a décidément toujours une longueur d’avance en matière de tendances. Et, d’ailleurs, elle te dit qu’il y a des bonbons halal, des fonds de teint halal, des hôtels halal et même des œufs halal. Et dire que pour toi il ne s’agissait que de l’abattage des bêtes… Tu étais ignorante apparemment.

Il y a tout de même un truc qui te turlupine: que peut bien être un œuf halal ? Un œuf pondu par une poule qui n’a jamais approché un vilain cochon ? Un œuf pondu par une poule qui sait qu’elle va être abattue selon le rite musulman ? Tu essayes de comprendre en fouinant sur les Internets depuis ton iPhone. Tu tombes sur des raisonnements qui te semblent assez improbables, mais surtout tellement loin d’une quelconque piété. Et là encore, tu n’as aucun souvenir de ta grand-mère ou de tes tantes — pourtant hajjate — se poser ce genre de questions. Finalement, le marketing, qu’il soit halal, amoureux ou sportif, a les mêmes règles. Prendre poliment les gens pour des débiles pour essayer de leur vendre tout et n’importe quoi. Et ça marche.