Omar Faraj s’acharne-t-il contre les grandes entreprises?

Les redressements fiscaux sont devenus un cauchemar pour les grands patrons, qui crient à l’injustice, avançant que ce sont toujours les mêmes qui paient. Le fisc se dit, lui, dans son rôle et promet d’intensifier les contrôles. Décryptage.

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Le directeur général des impôts, Omar Faraj Crédit: Toumi / TelQuel

Avec l’OCP, Lydec, Saham Assurance et Crédit du Maroc — pour ne citer qu’eux —, l’administration fiscale a encaissé plus de 1,2 milliard de dirhams de recettes à l’issue de redressements fiscaux de l’année 2016. Ce ne sont là que quelques exemples, les plus médiatisés. Mais la campagne lancée par le fisc en 2016 a rapporté quelque 6 milliards de dirhams en tout, selon la direction générale des impôts, et 12 milliards si on compte les sommes recouvrées pour les années précédentes.

De grands groupes industriels et financiers sont passés à la caisse, tandis que d’autres sont encore en négociation, ou contestent la notification qui leur a été faite par le fisc, comme ce fut le cas pour la BMCE qui, selon Économie & Entreprises, a préféré se diriger vers la justice pour se défendre contre la décision de l’administration dirigée par Omar Faraj. Dans les coulisses, le gotha économique crie à l’acharnement et colle à la direction générale des impôts (DGI) l’étiquette de “racketteur”. Les uns disent que “dès qu’elle veut renflouer les caisses de l’État, la DGI lance des campagnes de redressement”. Les autres déplorent le fait que “ce sont toujours les mêmes qui passent à la caisse”.

Un sentiment qui nous a été confirmé par Abdelkader Boukhriss, président de la commission fiscalité à la Confédération générale des entreprises marocaines (CGEM). “Les opérateurs se sentent persécutés, surtout que les médias communiquent toujours sur les mêmes, et l’opinion publique se demande si toutes ces sociétés sont responsables de fraudes”, s’insurge-t-il. Et d’ajouter que “les recettes collectées viennent des mêmes opérateurs, et cela devient vraiment inquiétant”. De leur côté, les patrons déplorent les conditions dans lesquelles les contrôles fiscaux sont faits. “L’entreprise est otage de l’interprétation que fait le contrôleur des textes législatifs”, nous confie le responsable financier d’une importante entreprise de la place qui a également subi un contrôle fiscal en 2016. Bon nombre de directeurs financiers jugent que le contrôleur est toujours dans une situation de pouvoir, et c’est l’une des raisons qui contribuent à l’image de “grand méchant loup” collée à la DGI.

Plus de contrôle

Les grandes entreprises sont-elles la poule aux œufs d’or de la DGI ? Interpellé sur les accusations portées contre l’administration fiscale, qu’il dirige depuis 2015, Omar Faraj ne mâche pas ses mots : “Nous faisons notre travail, nous n’allons pas nous excuser à chaque fois que nous opérons un contrôle”. Il rappelle que le système fiscal marocain est déclaratif et, par conséquent, la principale mission de la DGI est de contrôler la conformité des déclarations. “L’entreprise crée la richesse et nous n’avons aucun intérêt à la mettre en difficulté, bien au contraire, plus elle crée de valeur ajoutée mieux c’est pour l’évolution des recettes fiscales et pour le pays”, ajoute-t-il. Ce postulat n’a donc rien à voir avec les contrôles et les redressements qui en découlent. Les contrôles effectués l’année dernière n’ont rien d’une opération ponctuelle, le patron du fisc promettant même “leur intensification pour les années à venir”. Mais, pour Omar Faraj, cette décision n’est aucunement motivée par la nécessité de “renflouer les caisses de l’État”, bien que pour lui “la sécurité financière” de l’État soit un sujet d’une grande importance. “Le cheminement que prend la DGI est universel et tend à chercher le moyen de limiter le champ de l’évitement fiscal pour assurer l’équité et un cadre de concurrence loyale et transparente”, explique-t-il. Pour ce faire, la DGI a accéléré le chantier de numérisation de l’administration fiscale permettant d’automatiser la programmation des dossiers à contrôler. En d’autres termes, c’est le système d’information qui décide, sur la base d’une analyse de scoring, quelle déclaration doit être vérifiée. Ainsi, les déclarations présentant des scores élevés révélateurs d’un fort risque fiscal remonteront automatiquement. Par conséquent, le contrôle, qui ne concernait auparavant que 3 à 4% des déclarations, sera plus organisé et touchera une fourchette plus large.

L’informel dans le collimateur

Cette tendance a été ressentie en 2016 quand le nombre de contrôles a augmenté de près de 36%, passant de 2200 contrôles ponctuels et globaux à plus de 3000. “C’est ce qui a probablement accentué cette impression d’acharnement”, commente Faraj, qui précise que dans le lot, il n’y a pas que les grandes entreprises. Plus de 300 médecins ont ainsi été contrôlés contre une moyenne de 60 par an sur une population totale de 19 000 médecins auparavant. Les écoles privées sont également passées par la case de vérification des déclarations. Et pour répondre à la demande du patronat qui réclame l’élargissement de l’assiette fiscale en tapant sur l’informel, Omar Faraj acquiesce : “Il y a un important travail qui est fait à ce niveau en collaboration avec d’autres administrations, notamment la douane. Nous avons épinglé plus de 100 entreprises qui étaient absentes du radar de la DGI”. La première opération de ce genre a débouché sur une recette de redressement de 200 millions de dirhams. “Nous utilisons tous les moyens, même les plus insoupçonnés, pour aller chercher ces opérateurs de l’informel”, confie-t-il. Grâce à l’analyse des factures de l’eau et de l’électricité par exemple, l’administration fiscale a pu remonter la piste d’usines clandestines, dont une nichée “au milieu d’un champ”. L’esprit qui anime aujourd’hui la DGI est que “l’intensification du contrôle agisse de manière directe sur l’augmentation des recettes spontanées”.

Le pouvoir de l’interprétation

Ce que l’administration fiscale ne peut toutefois nier, c’est l’existence d’un véritable problème d’interprétation de la loi. Ce qui représente le principal facteur de risque pour les entreprises, notamment les plus grandes d’entre elles. “À l’origine de tous les problèmes entre les opérateurs et l’administration, c’est notre réglementation qui est complexe et incomplète”, reconnaît Boukhriss. Un constat partagé par la DGI, dont le patron affirme qu’un important chantier a été lancé dans ce sens : “Nous sommes conscients que certains textes sont à revoir. Nous nous réunissons avec toutes les parties prenantes pour apporter les clarifications nécessaires aux textes qui posent problème, les dernières Lois de Finances ont apporté plusieurs modifications dans ce sens”. Les textes ne nécessitant pas de passer par la case “parlement” sont clarifiés par une note circulaire qui informe sur la seule interprétation valable. Pour rassurer davantage les entreprises sur les bonnes intentions de la DGI, Faraj nous confie avoir demandé à ses équipes d’éviter autant que possible d’inclure les interprétations de textes dans les motifs de redressement. “Les notifications non motivées sont bannies. Toute notification doit être accompagnée de justificatifs chiffrés permettant à l’entreprise de répondre”, nous explique-t-il. Et si, malgré cela, l’entreprise s’estime lésée, elle peut déposer des recours devant la commission locale ou nationale (un organe d’arbitrage), ou aller à la justice administrative où la DGI perd généralement la moitié de ses procès.

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