En juillet 1969, une drôle de guerre éclate entre deux pays voisins : le Honduras et le Salvador. Tout a commencé au mois de juin de la même année, quand la sélection nationale du Salvador s’est déplacée au Honduras pour un match éliminatoire de la Coupe du Monde. Les locaux ont réservé un accueil hostile à leurs adversaires : harcèlements, bruits assourdissants dans l’hôtel et privation de sommeil la veille du match… Les visiteurs perdent la rencontre, mais la revanche est un plat qui se mange brûlant. Une semaine après, au match retour, un traitement encore plus rude est réservé aux voisins. Les Salvadoriens remportent la partie et se qualifient à la Coupe du Monde. Mais à quel prix ! Les esprits s’échauffent et la tension monte entre les deux pays. Les immigrés salvadoriens, très présents au Honduras, sont violemment attaqués et molestés. Des dizaines de milliers d’entre eux quittent leur pays d’accueil, dans des conditions tragiques, et rentrent chez eux. Les médias des deux États soufflent sur les braises et diffusent des messages de propagande et de haine sur fond de nationalisme très exacerbé. Conséquence : un conflit armé éclate entre le Honduras et le Salvador, faisant en quelques jours plus de 3000 victimes. Cet épisode de l’histoire de l’Amérique centrale porte le nom de la “Guerre du football”.
On entend souvent que le football est le nouvel “opium du peuple”, pour emprunter la fameuse formule de Marx par laquelle il désignait la religion et son rôle supposé dans l’anesthésie des consciences populaires. En effet, le football déchaîne les passions, galvanise les gens, provoque parfois des hystéries collectives et attise des sentiments chauvins. Mais comme on l’a vu récemment, lors des derniers matchs de la sélection marocaine en Coupe d’Afrique, le football a également ses vertus et ses effets positifs. Malgré l’élimination et la défaite devant l’équipe égyptienne, ces rencontres ont recréé ce dont un pays a toujours besoin : des épisodes de communion, d’appartenance fédératrice tendant vers le même objectif, même si c’était de mettre un bout de cuir rempli d’air dans des filets gardés par un bonhomme habillé en short ! Le football est devenu, de notre temps, le plus grand pourvoyeur et créateur de lien collectif et national.
À une époque de l’histoire, où l’humanité se livre de moins en moins à la guerre, les stades de foot sont devenus les lieux symboliques d’affrontement et de combat. Au lieu d’envoyer des armées et des soldats mourir sur le front, on substitue à ce spectacle macabre et sanglant un autre antagonisme, plus ludique mais non moins influent. La liesse populaire, les sentiments de fierté et de gloire suscités par la réussite dans une grande compétition internationale ne sont pas moins forts et mobilisateurs que lors d’un triomphe militaire. Les victoires et les défaites sportives, les matchs épiques, les retournements de situation et les coups bas font partie du grand récit national et d’une mythologie collective. Cette fonction symbolique, d’artisan de communion et de lien national, explique la place actuelle du football, sa beauté et ses dérives.