“Historique”. Le discours de Mohammed VI à la tribune de l’Union africaine à Addis-Abeba est unanimement salué par la presse nationale. Ce terme galvaudé chez nous, trop souvent accolé aux actions royales, est cette fois totalement justifié. Il a d’ailleurs été repris par d’autres rédactions, moins suspectes de complaisance, comme l’AFP. Depuis la salle plénière Nelson Mandela, le souverain a donc fait un retour remarqué, sous les applaudissements des chefs d’État et de gouvernement, touchés par les mots d’un souverain qui parlait “avec son cœur”. Pour ceux, journalistes et observateurs, assis sur les strapontins de la plénière, nul doute que ce discours marquait une rupture, le début d’une épopée. Celle du Maroc au sein de sa “famille africaine”, mais aussi la transformation d’un souverain. Car c’est bien un destin de roi qui prend un tournant à Addis-Abeba.
L’ombre de Hassan II a longtemps plané sur le règne de son fils. Il a été dit que Mohammed VI n’avait pas la stature internationale de son père. Qu’il n’avait ni son aisance, ni son éloquence. On devine que ces comparaisons ont pesé sur Mohammed VI. Il n’est jamais facile d’être le fils de son père et l’héritage d’un roi ne s’évacue pas par la formule “moi c’est moi, lui c’est lui.” Mais les blessures d’amour propre sont parfois le moteur d’impétueux désirs de réussite. Le 31 janvier, Mohammed VI y est arrivé et a enfin affirmé son style à lui. Alors que son père était fin tacticien, naviguant au gré des vents de ses intérêts, liés à la question du Sahara, Mohammed VI est lui un roi stratège qui a patiemment construit sa politique internationale. À la tribune de l’UA, il abandonne les termes belliqueux et se présente avec humilité à ses “frères” africains. Il révèle que sa diplomatie africaine, il l’a dessinée dès 2000, et donne cet exemple : “Entre 1956 et 1999, 515 accords avaient été signés, alors que depuis 2000, il y en a eu 949, c’est-à-dire près du double”, et insiste sur son engagement personnel et les “46 visites (…) effectuées dans 25 pays africains”.
À la tribune de l’organisation panafricaine, Mohammed VI vient enfin de tuer le père. Une nécessité pour vivre avec son temps et incarner le changement. La politique de la chaise vide voulue par Hassan II a été désastreuse pour le Maroc. Elle a laissé pendant 32 ans le champ libre au Polisario, qui a su efficacement distiller ses syllogismes dans les couloirs de l’UA. Mohammed VI met un terme à cette absence et les dirigeants du Polisario devront s’habituer à être contredits. Le style M6, qui peut paraître risqué — parce qu’il implique de siéger aux côtés de la RASD —, est plus audacieux au final que celui de Hassan II parce qu’il prône l’action. Les adversaires du Maroc et leurs soutiens seront désormais affrontés sans peur et sans se dérober, à la loyale et dans un cadre institutionnel. Les mots du roi étaient humbles, empathiques et généreux. Cette part de son caractère, les Marocains ne la découvrent pas. Mais à l’international, quand le roi fend l’armure, il suscite la curiosité et l’intérêt. Cette nouvelle posture est une chance pour le Maroc et pour le continent.