La télévision pourrait nuire à la santé mentale de ceux qui la regardent et contribuer à leur déprime, mais pas seulement à travers des émissions décérébrantes de téléréalité ou des programmes infantilisants et médiocres. Quiconque au Maroc aurait suivi, mercredi dernier, les primaires de gauche en France et le débat entre Manuel Valls et Benoît Hamon, aurait eu un pincement de cœur en comparant la qualité de l’échange entre ces deux hommes et ce qui se passe sous nos cieux. Les mêmes sentiments affligés que le téléspectateur marocain éprouve en se délectant du beau jeu et des prouesses techniques dans un grand championnat européen et en les comparant aux mauvais contrôles, buts contre leurs camps et occasions ratées des joueurs de notre Botola nationale. Mercredi dernier, on a vu deux candidats confrontant idée contre idée, proposition contre proposition et chiffres contre chiffres. Chacun des deux hommes défendait sa propre vision de la France, de son évolution sociale, de son développement économique et de sa place dans le concert des nations. Le Parti socialiste français est en état de décomposition, mais il nous a offert un beau débat entre deux de ses représentants, qui aspirent au renouveau de la gauche et à la refonte de son logiciel.
C’est cette recherche permanente de renouvellement des idées et des propositions qui est fascinante et doit être inspirante pour les politiques marocains. Pendant le débat entre Hamon et Valls, une bonne partie de l’échange a été consacrée à l’évaluation de la faisabilité et la mise en application d’un “revenu universel” pour tous, permettant de soustraire à la précarité des millions de personnes, notamment les jeunes. Une idée qui fait son chemin en Europe et qui suscite soutien ou rejet. Au Maroc, qui se rappelle d’une seule idée ou d’une seule proposition dans le programme d’un parti, pendant la campagne électorale, qui ait provoqué l’ébauche d’une discussion ? Qui a retenu une seule mesure novatrice, chiffrée et applicable, qui pourrait changer la vie des Marocains ? Qui se souvient d’un seul débat où le niveau était au firmament de l’intelligence et de la finesse ? Au Maroc, nous assistons à des transformations radicales de la société, de l’économie, du rapport au travail, des liens collectifs, avec une révolution numérique qui bouleverse tout sur son passage, mais aucun parti ne prend le temps de s’y intéresser ou d’anticiper ses conséquences.
Au Maroc, cette mission de production d’idées, de force de proposition et de changement, de vecteur de réformes a toujours été portée par la gauche. Elle était déjà à l’œuvre avec le gouvernement de Abdellah Ibrahim en 1958, qui a introduit des mesures économiques et sociales dont l’impact est visible encore aujourd’hui (création de la CNSS, lancement du dirham…). Elle a continué, dans l’opposition, à travers ses relais dans la société civile, à nourrir et alimenter en idées les grandes réformes sociales, notamment en matière des droits de l’homme et du statut de la femme. La force de la gauche marocaine s’est étiolée le jour où elle a abandonné cette mission. La défaite de la pensée a précédé les autres débâcles.