Mes bons amis, c’est un jour historique. Une gloire subite s’est abattue sur nos têtes, au moment où nous nous y attendions le moins.
Zakaria Boualem, à l’instant où nous écrivons ces lignes, est un quart de finaliste de la Coupe d’Afrique des nations. La dernière fois qu’il a atteint ce stade de la compétition, Facebook n’existait pas encore et les gens achetaient des téléphones Alcatel. Pendant un instant, le Boualem a été un peu perdu, il ne savait pas comment festoyer. Oui, les amis, nous avons rompu avec cette abominable habitude qui consistait à se retrouver éliminés dès le premier tour, c’est un sentiment puissant. Sortir de chez soi la tête haute, diffuser de la bonne humeur, se sentir appartenir à la fête continentale au lieu de geindre tout seul dans son coin, oublier un peu la pénible bipolarité Real-Barça qui nous gonfle toute l’année, se mettre à rêver d’une qualification en Coupe du Monde, tout cela est très beau.
Le Guercifi a donc festoyé après le match contre la Côte d’Ivoire, sans l’ombre d’une hésitation. Le lendemain, il s’est demandé s’il n’en avait pas un peu trop fait, il n’était que quart de finaliste après tout. Il a aussitôt balayé cette objection, nous n’avons pas les moyens de faire la fine bouche. C’est en arrivant au bureau le lendemain de cette victoire magnifique que les choses ont pris une nouvelle tournure. Il s’est trouvé agressé par son voisin de bureau, grand patriote de son état, et qui avait ce matin une sorte de haine revancharde. Oui, dans notre pays saturé de rancœurs en tout genre, même les victoires ont le goût de polémiques. Je vous retranscris le débat entre notre héros et Abdelqoudous Boufous, puisque tel est le nom de son collègue.
— ZB : Ça fait du bien mon ami, viens que je te fasse des bisous.
— AB : Ahhh ! mais tu n’y croyais pas, toi, tu as passé ton temps à les dénigrer, tu disais qu’on allait être éliminés.
— ZB : Oui, ils m’ont surpris, c’est magnifique !
— AB : C’est à cause de gens comme toi que le pays reste bloqué en arrière, à force de mettre de la pression, de l’impatience, il fallait laisser Renard bosser, et tu vois le résultat, j’espère que tu as compris la leçon.
— ZB : La pression ? Mais quelle pression ? Il n’y avait aucune pression, juste de l’indifférence et un peu d’ironie. La pression, c’est ce qu’on a mis sur les épaules de Louzani le pauvre, ou de Blinda Allah yrahmo, c’est la marche du Raja contre Hanate en plein ramadan ou les “Akram irhal”, ça oui, c’est de la pression.
— AB : C’est votre impatience qui nous bloque.
— ZB : Moi je trouve les Marocains très patients, ils ont supporté 13 ans sans qualification, une CAN au pays annulée sans qu’on sache pourquoi, des périodes sans sélectionneur, une élection du bureau fédéral à refaire et plein d’autres choses grotesques, on a été zen. Hier on a eu une sorte de rappel de baraka pour tout ce qu’on a supporté, al hamdoullah.
— AB : Mais tu critiques tout le temps.
— ZB : Et alors ? Moi j’ai critiqué Bassir, alors je ne vais pas me gêner pour Boussoufa et El Arabi ! D’ailleurs même Renard a enlevé les coups francs au premier et posé le second sur la touche. Pourquoi je ne devrais pas critiquer ? Tu as vu ce qu’ils mettent à leur équipe, les Argentins ou les Italiens ?
Zakaria Boualem met fin au débat et s’en retourne méditer dans son bureau. Il règne actuellement une mode bizarre, celle de mettre tout sur le dos du peuple. Nous sommes frappés par la passion de l’autoflagellation. Le Marocain de base, c’est lui le problème. C’est lui qui empêche les sélectionneurs de travailler, c’est lui qui est mal élevé, incivique, analphabète, c’est lui qui nous plombe dans les classements mondiaux, qui ne respecte aucune loi et nous retarde dans notre avancée. Telle est la nouvelle idéologie : il n’y a plus de responsable, puisque nous sommes tous coupables. Vivement qu’on gagne enfin cette CAN, il est temps de festoyer tous ensemble.