Mercredi 25 janvier, l’ONG Transparency International, a publié son « évaluation annuelle de la perception de la corruption 2016« . Le Maroc y occupe la 90e place avec un score de 37 points sur 100, régressant ainsi de deux places par rapport à 2015. Fouad Abdelmoumni, secrétaire général de Transparency Maroc, commente ce mauvais résultat et déplore le manque d’engagement concret de l’État dans cette lutte contre la corruption.
Le gouvernement avait adopté en décembre 2015 une Stratégie nationale de lutte contre la corruption. Comment expliquez-vous que, deux ans après, le Maroc connaisse encore un si mauvais score ?
C’est un résultat alarmant qui prouve que nous vivons encore dans un pays où la corruption est endémique et surtout qui montre que les récents effets d’annonce du gouvernement en matière de lutte contre la corruption n’ont pas été suivis de changements significatifs. Le 27 décembre 2015, le gouvernement a officiellement adopté la Stratégie nationale de lutte contre la corruption, s’étalant sur dix ans et comprenant dix programmes déclinés à travers 237 projets. Le gouvernement avait fait plein de promesses: des projets de loi qui ont été annoncés, la mise en place de nouvelles institutions avec de nouvelles attributions plus effectives, une meilleure efficacité du système judiciaire… Ils prétendent que des chargés de projet sont en train de travailler dessus, mais nous n’avons aucune indication que quelque chose de concret ait été fait. Nous sommes membres de l’organisme qui supervise cette stratégie et nous n’avons reçu aucun rapport périodique de la part des chargés de programmes s’occupant de mettre en application la stratégie. D’ailleurs, à notre connaissance, aucun budget n’a été débloqué à cette fin depuis 2015. C’est d’ailleurs toujours le cas pour le budget de 2017…
Qu’en est-il alors du numéro vert mis en place par le gouvernement en juin 2015?
Cette action a suscité un véritable engouement. Le service reçoit des centaines de milliers d’appels. Il y a donc une demande indubitable. Le problème réside dans la capacité de suivi des plaintes, car nous n’avons pas un système d’ensemble efficace permettant l’établissement des preuves. Comment voulez-vous que les personnes qui se plaignent fournissent des preuves quand le droit d’accès à l’information existe à peine ? Il y a une réelle inopérabilité du système encore aujourd’hui. Selon les chiffres du ministère de la Justice, seulement une vingtaine de cas ont conduit à une interpellation ou à une mise en examen de fonctionnaires. C’est certes une avancée positive, mais on est encore très loin du compte.
Quel type de corruption est principalement dénoncé dans ces cas ?
Ce genre de dénonciations touche principalement la petite corruption, c’est-à-dire le petit fonctionnaire qu’on peut facilement envoyer au pilori. Or la corruption la plus dangereuse, où les milliards sont en jeu, se passe dans les salons feutrés. Elle est le fait des grands commis de l’État, voire de ses dirigeants. Dans ce cas-là, la marge d’action des lanceurs d’alertes est beaucoup plus limitée. Il n’y a aucune protection pour ces derniers, et surtout aucune politique d’exemplarité du côté du gouvernement. Quand on voit que les grands dignitaires de l’État se permettent de se répartir les biens publics, qu’ils s’arrogent des terrains à une valeur dérisoire par rapport à leur valeur marchande et que l’État, au lieu d’engager des poursuites, laisse faire certains de ces bénéficiaires, comme le ministre de l’Intérieur ou des Finances, sous prétexte que ce sont des « serviteurs de l’État », comment voulez-vous que les gens se mobilisent contre la corruption? On peut s’inquiéter lorsqu’on constate qu’après les affaires Luxleaks ou Panama Papers, il n’y a eu aucune mise en examen des personnes impliquées. Aucune commission d’enquête parlementaire n’a été mise sur pied. On a seulement eu droit à des déclarations d’avocats pour dire que tout s’est fait dans la légalité…
Encore plus difficile de lancer l’alerte quand on sait que les instances de la lutte contre la corruption sont à l’arrêt…
En effet, la volonté politique de l’Etat semble faire défaut. L’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC) par exemple, n’a plus de patron depuis le départ d’Abdesselam Aboudrar. Elle n’a pas de membres non plus puisque leur mandat a expiré et que le roi n’a nommé personne depuis. Nous évoluons donc sans instance nationale de lutte contre la corruption. C’est la même chose pour le Conseil de la concurrence qui a un président, mais pas de membres, dont la nomination dépend également du roi. Comme l’a dernièrement déclaré le président du Conseil à la presse, ils sont dans une situation d’inexistence, car sans instance délibérative ils ne peuvent engager aucune action. Ce n’est pas un retard de quelques jours, car cela date de la constitution de 2011. Si avant le Maroc était dans le déni vis-à-vis de la corruption, on est aujourd’hui dans une politique de la cosmétique où les déclarations des politiques n’ont rien à voir avec leurs actions.
Résultats de l’étudePour réaliser ce classement, l’ONG internationale s’est basée sur différents critères. Les bons élèves ont été jugés selon la transparence de leur gouvernement, la liberté de la presse, la garantie des libertés civiles et des systèmes judiciaires indépendants. Les pays en bas du classement se caractérisent, quant à eux, par une impunité généralisée dans les affaires de corruption, une mauvaise gouvernance et des institutions faibles. Ainsi, le Danemark se place en tête du classement avec un score de 90 sur 100 points, suivi de la Nouvelle-Zélande (90 pts) et de la Finlande (89 pts). Classée 176e, la Somalie ferme la marche avec 10 pts, précédée du Soudan du Sud (11 pts) et de la Corée du Nord (12 pts).[/encadre] |
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