Salut à vous les amis, l’heure est grave. Il ne vous aura pas échappé que notre paisible contrée, au cours d’un de ces soubresauts que nous connaissons bien, vient d’interdire la burqa soudain.
Zakaria Boualem n’a pas bien compris si on avait interdit la fabrication, l’importation, la vente ou le port de ce noble tissu, c’est encore assez flou. Il n’a pas non plus compris si le niqab était concerné, si c’était la même chose que la burqa, personne ne s’est dévoué pour éclaircir ces points. Ce n’est pas le genre de la maison. Chez nous, il arrive que des décisions apparaissent d’elles-mêmes. Elles sont diffusées, relayées, sans être portées par un visage connu ou une voix pédagogique, comme si notre administration était douée d’une vie propre, c’est fascinant. D’ailleurs, nous n’avons même pas de gouvernement à qui imputer ce genre de choses.
Malgré ce manque de précision, les Marocains se sont emparés de ce sujet avec passion pour en débattre avec abondance. C’est une autre spécificité marocaine. Il y a des pays où les débats se font avant l’adoption des lois, et au parlement. Chez nous, ça se passe après la diffusion des lois, et sur Facebook. Oui, nous sommes modernes. En résumé, ça donne un truc comme ça :
— Abdoulqoudous Boufous (AB1) : Ce truc est débile, personne n’a à dicter aux femmes leur tenue, c’est de l’ordre de la liberté individuelle.
— Abdelmoughit Belfrit (AB2) : Mais se cacher le visage dans l’espace public est une menace pour la société, c’est une question de sécurité nationale.
— AB1 : Non, c’est contre-productif, on va au contraire exciter les extrémismes.
— AB2 : Ah bon ? Il faut laisser faire alors ?
— AB1 : C’est une question d’éducation, il faut réformer l’éducation.
— AB2 : On l’a déjà réformée.
— AB1 : Ah bon ?
— Abdelbar Minibar (AM) : Taisez-vous tous les deux, vous vous rendez compte que ce pays est tombé aux mains des impies ? On laisse les cabarets ouverts alors qu’on diffuse l’œuvre de Satan sur les ondes, on laisse en liberté les pècheresses nues et on veut enfermer les femmes pudiques…
— AB1 : Personne ne va être enfermé, ils sont incapables de faire respecter cette loi, et d’ailleurs ce n’est pas le port qui est interdit, mais la vente.
— AM : On ne peut pas empêcher les gens de porter ce qu’ils veulent.
— AB2 : Ah bon, vous seriez prêts à défendre les femmes qui veulent mettre un bikini alors ?
— AM : Jamais de la vie, a3oudoubillah, d’ailleurs ce n’est pas moi qui interdis le bikini, c’est Dieu. Tu es pire qu’un Français.
— AB2 : Et toi, tu es marocain avec tes vêtements persans ?
— AB1 : Arrêtez tout, l’mountakhab va commencer dans une minute.
— AM/AB2 : Ok, on reprend après la défaite.
Zakaria Boualem n’a aucune position sur le sujet, ça ne sert à rien. Il subit, comme tout le monde, ce qui se passe autour de lui, sans même s’offrir le luxe de l’illusion de pouvoir influer sur le cours les choses. Et s’il pouvait convaincre les gens, on l’aurait remarqué depuis longtemps. Mais il ne peut pas s’empêcher de se montrer à nouveau surpris par la manière dont nos affaires publiques sont traitées. Autre exemple, la réforme des manuels de tarbiya islamiya. Il a fallu changer certains chapitres, mais sans nous expliquer pourquoi l’ancienne version n’était pas (ou plus ?) acceptable. C’est dommage, on aurait pu comprendre deux ou trois trucs, voire se poser quelques questions cruciales. Mais non, ça a été fait soudain, et il se trouve que le pays entier a connu une rupture de stock sur les nouvelles versions. Les parents d’élèves savent de quoi il est question ici. Bon, le match commence, je dois vous quitter à mon tour, il y a quand même des priorités dans la vie, et (Dieu) merci.