Fatym Layachi - Sexe faible

Par Fatym Layachi

Aujourd’hui tu as une mission, tu dois trouver un cadeau pour une pendaison de crémaillère. Alors, tu te retrouves à errer devant les étagères de ce concept store de déco entre vaisselle “néo beldi” et bougeoirs scandinaves.

C’est tellement conceptuel que tu n’es pas sûre de tout comprendre. D’ailleurs, quelle est cette nouvelle folie qui s’empare de toutes les personnes qui ouvrent des boutiques à vouloir à tout prix faire des concept stores même s’il n’y a pas de concept ? Enfin bref, tu hésites entre des bols avec des motifs de zellige fluo, un dessous de plat métallique et des coussins à rayures pastel. Ton cœur ne chavire pas vraiment, mais tu as un beau cadeau à faire. Ta meilleure amie a un nouvel appartement. Ça y est, Zee va déménager. Ou plutôt Zee va emménager. Elle va vivre seule.

Elle s’est enfin décidée à quitter la maison des parents et son confort. Et ce n’est pas sans heurt que cette décision a été prise. Il y a certains trucs de la vie pour lesquels les parents ont du mal à considérer leur fille comme un être autonome. Et ça, même si la fille en question a un super salaire et gère sa vie comme elle l’entend. L’ouverture d’esprit a des limites dans le monde dans lequel tu évolues. Tu rejoins Zee qui finit de ramasser des affaires. La famille est au complet dans le salon. Les mines sont tellement solennelles que tu pourrais croire que Zee part s’exiler au bout du monde. C’est un peu surréaliste vu qu’elle va vivre exactement à huit minutes de chez ses parents. Mais bon, l’heure est grave apparemment. Elle va s’installer toute seule. Son père fait la gueule. Il se sent pris au piège. Il n’ose pas lui interdire ce déménagement. Zee n’a plus vraiment l’âge de se faire interdire quoi que ce soit. Mais tu sens bien qu’il trouve ça à la limite du scandaleux. À ses yeux, une fille, ça ne vit pas seule. Pas ici en tout cas. Zee a pourtant déjà vécu plus de six ans seule. Mais ce n’était pas la même chose, c’était à l’étranger. Loin des regards, tout est permis. D’ailleurs, à une époque, elle vivait même avec son mec et ses parents le savaient, mais ce serait tout simplement inimaginable que cette situation se reproduise ici. Tu serais à deux doigts de penser que son père s’imagine même qu’elle est redevenue vierge à la fin de ses études avant de rentrer s’installer au pays. Finalement, il y a pire que la loi contre le concubinage : le poids de la société et d’une famille hypocrite coincée entre des traditions mal transmises et une modernité mal acquise. Le frère de Zee vit seul depuis ses 18 ans et dans la même ville que ses parents, mais bien évidemment personne n’a jamais rien trouvé à y redire.

C’est un mec, c’est donc normal qu’il ait sa vie et son intimité ! Il est incapable de se faire à manger ou de faire une lessive, mais là aussi tout le monde a l’air de trouver ça normal. Sa mère se fait un plaisir de lui laver ses chaussettes, mais par contre elle ne comprend absolument pas pourquoi Zee fait ce choix. Elle soupire, lève les yeux au ciel. Elle estime que c’est du “behlan”. Elle prend sa fille pour un bébé incapable. Elle a l’air d’oublier qu’à son âge elle avait déjà deux gosses. Ah non, elle n’oublie pas, elle doit juste estimer qu’il y a une différence de taille : elle, à son âge, elle était mariée ! Et c’est peut-être là ou le bât blesse finalement. En gros, ici, même si tu as un bac+5, si tu es une femme, tant que tu n’es pas mariée tu restes un être mineur. C’est tout de même hallucinant qu’un moment de la vie, a priori simple, devienne si compliqué et clivant. Et puis, tu te souviens qu’il s’agit de la vie d’une femme. Et dans cet univers, que les mères maintiennent sous le contrôle des hommes, c’est forcément clivant.