Ça y est ! Une nouvelle année a commencé. Enfin… Plein de bonnes choses, de l’amour, de la légèreté et puis la santé surtout. C’est fou comme les bons sentiments et les textos se ressemblent tous les mois de janvier. Toi, en ce premier Jour de l’An, tu te réveilles avec les cheveux en pétard et une sacrée gueule de bois. Rien de très original a priori. Tu as passé la soirée à te dire qu’il fallait à tout prix oublier cette année horrible qui vient de se terminer. Du coup, tu n’as aucun souvenir du prénom de ce garçon avec qui tu envisageais pourtant d’aller vivre au Costa Rica, et puis, tu ne sais plus du tout à quoi ressemble cette fille qui était devenue ta meilleure amie. Quant aux résolutions, tu n’as pas la moindre réminiscence d’en avoir émis une. Tu te diriges, encore titubante, vers ta salle de bain en espérant que l’eau fraîche sur le visage puisse t’offrir un semblant de dignité. Tu réalises que Zee dort dans ton salon. Tu es rassurée, sa soirée a été encore pire que la tienne, visiblement.
Après t’être aspergée d’eau et avoir été horrifiée par tes cernes dans le miroir, tu t’affales sur ton canapé et allumes la télé comme pour te maintenir en vie. Et là, c’est l’horreur. Tu découvres que la monstruosité a encore frappé. Un attentat dans une boîte à Istanbul ; des morts, des blessés, du sang, des gens qui paniquent. L’histoire se répète. Cette année n’a rien de nouveau pour l’instant. Tes yeux sont bien ouverts. Tu as envie de pleurer et de hurler encore une fois. Et puis ce geste sordide devenu réflexe ces derniers mois : vérifier comment vont tes copains présents sur place. La génération EasyJet ce n’est pas que partir en vacances sur un coup de tête, c’est aussi avoir toujours forcément un pote ou au moins le pote d’un cousin qui est dans une ville au moment d’un attentat. Et comme l’horreur ne semble pas avoir de problème de visa ou de frontières, aucune destination ne semble plus sûre qu’une autre. Tu te connectes sur les réseaux sociaux, et là ce n’est plus une envie de pleurer qui t’envahit, mais une envie de vomir. Dans les victimes, il y a au moins deux de tes compatriotes. Deux femmes mortes pour rien, tuées par la monstruosité des hommes, arrachées à la vie sans aucune autre raison que la barbarie.
Des victimes tuées par un monstre dont il faut condamner l’acte. Point. Il n’y a pas de nuances à apporter, pas de discussions à avoir. Pourtant, dans le plus beau pays du monde, ce n’est pas aussi simple, et c’est ça qui te donne la gerbe. Ici, les filles sont certes des victimes, mais comme elles étaient en boîte ce soir-là, eh bien peut-être qu’elles méritaient ce qu’il leur est arrivé. Et puis, vu comment elles étaient habillées, elles ne devaient pas être très vertueuses. Voilà le genre de commentaires que ces nouveaux gardiens de la morale émettent. Et puis, une grande question revient régulièrement : “Mais que faisaient des Marocaines dans un lieu de débauche ?” La nausée t’envahit de plus en plus. Tu as aussi très honte. Mais comment on a pu en arriver là ? En gros, aujourd’hui, la marocanité devrait se résumer à une apparence vertueuse. C’est grotesque. Du coup, ça donne le droit à chacun de juger selon sa morale faussement religieuse et ouvertement intolérante en érigeant un prétendu paternalisme hypocrite en loi insidieuse. Et puis tout le monde est anesthésié quand le joker religieux est invoqué. Dieu ce qu’il te semble loin l’islam des lumières… Tu réveilles Zee pour lui faire partager ce cauchemar. Ses yeux sont à peine ouverts que des larmes lui coulent déjà sur les joues. Alors, votre seule et unique résolution sera de continuer à vivre comme vous l’entendez tout simplement, parce qu’il n’y a aucune raison de se sentir coupable d’être en vie, bien au contraire.