Le rôle de simple arbitre du Palais, vous y croyez encore ? Depuis trois mois qu’il cherche à former un gouvernement, Abdelilah Benkirane mène un bras de fer avec l’arbitre. Et il a échoué, comme tout le monde s’en doutait. La monarchie est toujours plus forte que lui. Et elle l’a montré en rejetant l’idée d’une majorité confortable formée par les islamistes et l’Istiqlal de Chabat. Sur le fond, Mohammed VI s’oppose donc ouvertement au projet de société prôné par Abdelilah Benkirane et ses frères. Il ne veut pas que le PJD se renforce dans les administrations, les universités, et dans la société. Imaginer que le Palais interviendrait dans la scène politique en marionnettiste uniquement pour satisfaire des désirs hégémoniques est une erreur d’appréciation. Dans l’entourage royal, la conviction que les islamistes ont un projet dangereux pour le Maroc est réelle, même si elle paraît frôler parfois la paranoïa.
Oui, Abdelilah Benkirane est réellement un homme de dialogue, qui a évolué dans son discours. Avec beaucoup d’humour et de respect, il se montre sensible aux charmes du deuxième sexe par exemple. Mais ceux qui alimentent les rangs de son parti sont beaucoup moins conciliants et plus effrayants. Les idées islamistes ont fait tache d’huile dans la société, et s’ils sont attachés au processus démocratique — le vote et la représentativité populaire —, c’est-à-dire à certains outils utiles à la démocratie, ils n’incarnent pas un projet démocratique. Les islamistes — est-il encore nécessaire de le rappeler —, ne défendent pas les libertés, l’égalité entre les citoyens, la pluralité, le droit à la différence, etc. Mais que nous propose la monarchie comme alternative ? Une stratégie incohérente qui n’assume pas de défendre un projet opposé à celui des “frères”.
Nous assistons au contraire, depuis 2003, à une succession de décisions, d’orientations et surtout de coups de sang pour affaiblir les islamistes, qui ont tous été contre-productifs. La répression post-16 mai 2003, l’interdiction puis la limitation des candidatures islamistes aux élections de 2002 puis 2007, la création du PAM, l’affaiblissement des partis du Mouvement national, la promotion des leaders populistes Chabat et Lachgar, la razzia artificielle (mais insuffisante) du PAM aux dernières élections, et maintenant l’humiliation publique de Benkirane, tous ces développements ont renforcé ceux qu’ils étaient censés combattre. Jamais les islamistes n’ont été aussi puissants qu’aujourd’hui. Les résultats escomptés ne sont pas là, mais y a-t-il seulement une remise en question au sommet de l’État ? Les islamistes ont une vision de long-terme de leur travail. Ils courbent l’échine quand la tempête gronde, mais le jour où leur influence idéologique sera irréversible, le rapport de force risque de changer dangereusement. Le modèle turc est là pour le rappeler : quand la société bascule totalement vers l’islamisme, il n’est plus possible de revenir en arrière. Toutefois, l’alternative est à chercher ailleurs que dans l’autoritarisme. Il faut combattre l’islamisme sur le terrain des idées, par un travail de fond, long, pénible mais nécessaire. Jusqu’à présent, seuls les islamistes ont excellé dans l’exercice.