Edito. Une violence sans fard

Par Aicha Akalay

Elle a été violée par plusieurs hommes. Puis son corps a été retrouvé au fond d’un puits. L’hypothèse du suicide est évoquée. El Hasnae avait 18 ans à peine. Son corps violé, maltraité et tué émeut dans le milieu militant féministe. Guère au-delà. Il y a des chances pour que la vidéo de solidarité avec cette jeune femme, qui circule depuis le 20 décembre, récolte des milliers de vues, des likes. Aucune chance pour que cette nouvelle tragédie réveille nos dirigeants, les sensibilise à ce fléau endémique qu’est le viol. Ici, les mots sont pesés, car aucune Marocaine n’échappe un jour à cette réalité. C’est la sienne, ou celle d’une sœur, d’une amie, d’une voisine ou d’une collègue. Et personne n’aime parler du viol. Parce que la honte est toujours là, le déni, l’absence de prise de conscience aussi. Alors, on ne dit pas assez les mots qu’il faut pourtant entendre.

Très jeune, à l’école, le viol entre dans les classes. Une petite fille confie qu’à chaque visite de son oncle, il se glisse dans son lit. Il la touche. À 8 ans, ces mots sont nouveaux. Ils sont très vite étouffés par la maman terrorisée par le scandale de telles confidences. À la puberté, les seins pointent, les formes s’arrondissent, il est fréquent alors de voir rôder, près du collège, un homme la main dans son pantalon. On comprend vite à cet âge-là que le regard de l’adulte n’est pas innocent. Qu’il se masturbe en fantasmant sur ces corps qui se pensent encore comme des enfants.

Au lycée, c’est le temps des premières amours, et des premières déceptions  aussi. Il y a ce petit ami, populaire, sportif mais trop insistant. Une fille ça ne doit pas lui résister sinon c’est une allumeuse. Et puis, elle accepte bien de l’embrasser, le caresser, pourquoi ne pas aller plus loin ? L’entrée dans une vie sexuelle active se fait dans la contrainte et la honte. Parce qu’ici, coucher une fois c’est pute toujours. Et la vie se poursuit ainsi, avec un collègue qui laisse glisser sa main sur une cuisse révélée par une mini-jupe, tant pis si le geste est déplacé car, ici, la mini-jupe est une invitation à l’attouchement, au sexe. Le mari non plus n’est pas toujours très au fait de ce qu’il a le droit d’exiger de sa moitié. Alors, quand Madame ne veut pas, il force parfois. Elle dit non, même vigoureusement, mais c’est pour mieux l’exciter, pense-t-il.

Il faut jeter une lumière crue sur la violence sexuelle qui est faite aux femmes. Parce que, s’il est vrai que la plupart d’entre elles s’en accommodent et font avec, certaines en meurent. L’intégrité physique de la moitié des citoyens de ce pays n’est pas garantie par la loi. L’État ne les protège pas. Voilà un autoritarisme que ceux qui affectionnent ce terme — surtout dans les rangs du PJD — ne dénoncent pas assez. Alors, c’est aux femmes de se dresser comme une seule femme contre le viol. Mesdames, luttez, dénoncez, résistez, assumez-vous. Le salut ne viendra que de vous.

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