Fatym Layachi - Silence, on massacre

Par Fatym Layachi

La fin de l’année approche. Et tant mieux. Tu te dis que l’année prochaine ce sera forcément mieux. Ça ne peut être que mieux. Tout le monde est d’accord : c’était tout de même horrible 2016 ! Le nombre de morts, d’attentats et de tragédies a atteint des records.  Même ta numérologue est formelle : 2017 ce sera beaucoup mieux. Tu as bien hâte d’être au début du prochain cycle. Toi, de toute façon, tu adores les débuts, les prémices, les commencements, les rencontres.  En ce moment, tu démarres tes courses de Noël. Ta mère et ta tante sont en pleins préparatifs de leur dîner. Tes seuls soucis sont des histoires de plans de table et de couleurs de papiers cadeaux. Bref, a priori tout va bien et l’ambiance est plutôt à la légèreté.

Et pourtant, tu as beau être une pauvre petite conne sans cervelle et sans soucis, tu ne peux pas être insensible aux images qui t’arrivent de Syrie tous les jours. Bien évidemment que tu as la flemme de lire des articles longs qui expliqueraient les tenants et les aboutissants du conflit. Bien évidemment que tu es incapable de citer des dates précises. Et probablement que même si tu prenais le temps de lire, tu ne comprendrais pas tout. Ce qui se passe en Syrie est peut-être incompréhensible, mais certains faits sont indéniables : des explosions, des tirs, de l’obscurité, des familles qui fuient, des morts par milliers et des enfants qui hurlent. Une des plus anciennes villes du monde est noyée depuis des semaines sous les bombes et les armes chimiques. Un des berceaux de l’humanité est détruit dans l’indifférence de cette humanité qui n’en a plus que le nom. Toi, tu es plantée là, dans ce merveilleux pays de solidarité, d’hospitalité, ce pays d’islam. Et tu ne fais absolument rien. On n’est pas censés être tous frères ? Prier épaule contre épaule, ça on sait faire, mais se serrer les coudes, s’entraider, ça ne semble pas faire partie du cahier des charges de la fraternité paresseuse. Et cette fameuse solidarité arabe qu’on nous ressort régulièrement lors de sommets incongrus où des dirigeants font semblant de parler la même langue, on en fait quoi en ce moment ? Même si tu n’as strictement rien en commun avec des mecs habillés en pingouins qui interdisent à leurs femmes de conduire, tu te dis qu’il serait peut-être temps de la prouver concrètement cette prétendue solidarité. Parce que le peu de bon sens dont tu disposes te fait penser que si ces 22 pays s’étaient vraiment ligués pour tenter de régler quelque chose, ils y seraient peut-être arrivés. Et puis non, tu n’es pas manipulée par les médias occidentaux. Non, tu n’es sous l’emprise d’aucune propagande.

Tu n’es ni du côté d’Assad ni du côté de Daech. Tu ne veux pas choisir un camp de l’horreur. L’un n’est pas moins pire que l’autre. Leurs morts ont la même odeur. Toi, tu es juste du côté des civils, des familles, des enfants. Et tu te dis que notre silence à tous est le terreau de l’horreur, que notre indifférence est forcément coupable. Et parce qu’un jour tu aimerais avoir des gosses, et que face à nos enfants tu estimes qu’on est responsables de l’état dans lequel on leur laisse le monde, tu ne peux pas ne rien faire. Tu es absolument convaincue qu’on finira par regretter notre silence complice, alors tu as décidé d’ouvrir ta gueule en attendant de savoir quoi faire pour que ce monde aille mieux.