Il ne suffit pas de quitter le Maroc pour laisser derrière soi les stigmates d’un mal chronique : notre incapacité à reconnaître ce qui ne va pas et à admettre la critique qui en découle.
A 12 000 kilomètres de Casablanca, s’est tenue, en ce mois de décembre, à Tokyo, une rencontre internationale sur la promotion du rôle socio-économique des femmes dans la région MENA. L’auteure de ces lignes, ainsi que la Tunisienne Radhia Jerbi, présidente de l’Union nationale pour la femme tunisienne, l’Egyptien Amr Abdelhamid Soliman, membre du Conseil national des femmes, et la journaliste jordanienne Nadine Nimri, étaient invités par l’État du Japon. Chacun disposait de 12 minutes chrono pour présenter la situation des femmes dans son pays, les changements survenus après les “Printemps arabes” et proposer des pistes de réflexion pour améliorer l’engagement des ONG internationales.
Quelques minutes avant le début des interventions des quatre invités, une “représentante du gouvernement marocain” — comme elle s’est présentée auprès de la Professeure Keiko Takaki, modératrice de l’événement — a exigé de prendre la parole après nos présentations. La modératrice japonaise, parfaite arabophone, spécialiste des problématiques de microcrédit au Maroc, a accepté la requête. Même gênée, elle a choisi d’incarner les vertus de l’omoiyari, la légendaire culture de l’empathie propre aux habitants du pays du Soleil levant. Mal lui en a pris. Devant un parterre de diplomates des pays du G7, la représentante du royaume — directrice de la Femme au sein du ministère dirigé par Bassima Hakkaoui —avait préparé une opération “chouha internationale”.
Convaincus que la société civile peut jouer un rôle d’aiguillon dans la promotion des femmes, les hôtes japonais n’avaient prévu de donner la parole à aucun responsable gouvernemental. Pas de quoi réfréner notre éminente fonctionnaire, qui s’est attelée à corriger “les approximations de la journaliste de son pays”. Un recadrage agressif suivi d’un long plaidoyer — plus que le temps imparti aux intervenants au programme — des efforts du gouvernement marocain en faveur des femmes. Lassée de cette tonalité de violons patriotiques, l’assistance avait bien de la peine à cacher son dépit. Le public paraissait même perdu devant ce panégyrique ridicule. Après avoir déversé un torrent de balivernes, elle a conclu, rouge de colère, en s’adressant à l’auteure de ces lignes : “Sahafat akhir zaman (ndlr: journalisme de pacotille)”.
Il va sans dire que cette irruption de Madame “Lmoudira” a couvert le Maroc de ridicule. Après de longues années de propagande, de communiqués rageurs contre les nihilistes, de dénonciation des jugements extérieurs ou en interne, les officiels marocains ont pris l’habitude de dénigrer d’autres sons de cloche que le leur. Mais au Japon, ça fait tache. Dans le monde policé et parfois un peu hypocrite des conférences internationales, les hauts fonctionnaires y viennent pour tendre l’oreille, déceler les nuances apportées par leurs contradicteurs. Bref, il y a un swab, une bienséance propre à ce genre de forums. Or, Madame la directrice de la Femme croyait devoir défendre bec et ongles le bilan du département de Mme Hakkaoui, ministre de la Famille depuis 2012. On peut donc comprendre — sans l’excuser — l’énervement de notre fonctionnaire, car ce bilan n’est pas glorieux.