Fatym Layachi - Un festival marocain sans le Maroc

Par Fatym Layachi

Les fêtes approchent à grands pas. Les restaurants où tu vas ont commencé à servir leurs plus beaux produits, ta mère a commencé à décorer son sapin, des dizaines de textos te proposent des promotions de fin d’année dans tes boutiques préférées, ton boucher te propose de commander des dindes farcies.

Toi, tu adores cette période de l’année. Tu trouves ça tellement réjouissant les guirlandes et les bons sentiments. Tu as aussi très envie de te gaver de bûche. Tu as hâte d’être au moment des célébrations, des cadeaux. Alors, pour te faire patienter, tu rêvasses sur les réseaux sociaux. Et en ce moment, à en juger par les photos impeccablement retouchées qui apparaissent sur tes fils d’actualité, c’est dans un festival de cinéma qu’il faut être !

Ce n’est pas tant le côté cinéma qui importe d’ailleurs, c’est plus le côté festif que tes connaissances virtuelles semblent apprécier. La fête bat son plein. Un tapis rouge et des soirées dans des lieux hautement instagrammables. Tes copines font des selfies, elles ont l’air ravies. Il y a tout ce qu’il faut pour faire tourner les têtes. Du strass, des paillettes, beaucoup de paillettes. Un peu de glamour, des caftans comme porte-drapeaux, des robes sublimes. C’est formidable ! La presse internationale doit adorer. Le soleil de décembre, l’art de vivre marocain, le raffinement, les palmiers, le jus d’orange, la lumière exceptionnelle, la tolérance, le merveilleux mélange entre tradition et modernité… c’est parfait pour un article. Aucun de tes potes ne semble aller voir de films. Et alors ? Sont-ils là pour ça ? Absolument pas ! Ou alors éventuellement voir un film marocain pour le commenter, l’idolâtrer ou avoir envie de brûler son auteur. Comme souvent, les objets locaux sont jugés avec passion. Mais cette année, ils ne pourront même pas s’adonner à cette petite lubie. Pour la simple et bonne raison que cette année au Festival international du film il n’y a pas de film marocain. Et c’est sans doute la première fois. Pourquoi ? Parce que, selon les organisateurs, “aucun film récent ne dispose des qualités nécessaires pour concourir”.

En d’autres termes, aucun film marocain n’aurait le niveau. Tu trouves ça honnête et triste. Tu trouves ça honnête parce que tu es plutôt adepte des jugements francs. Tu estimes que quand une merde est une merde il ne faut pas avoir peur de le dire, quand bien même cette merde est made in le plus beau pays du monde. Le patriotisme c’est joli, l’aveuglement, ça l’est beaucoup moins. Mais tu trouves ça surtout terriblement triste parce qu’à bien y regarder c’est un sérieux constat d’échec. L’État participe à financer plus de vingt films par an, une école a été créée pour former aux métiers du cinéma et elle ferait partie du top 15 mondial, le pays est régulièrement cité en exemple par rapport à ses voisins du continent. Et malgré ça, rien ! Pas un film qui soit au niveau international. Entre des jeunes réalisateurs qui ne tiennent pas leurs promesses et des vieux sages qui ne se remettent pas en question, les films de qualité ont visiblement du mal à voir le jour. C’est dommage ! Ton téléphone sonne, c’est Zee. Elle te propose de partir en week-end à Kech pour une soirée du festival. Évidemment tu lui dis oui. Ta mauvaise humeur est toujours soluble dans le champagne. Tu as beau critiquer, tu passeras une soirée formidable. Tu ne t’en souviendras pas très bien le lendemain. Ce n’est pas grave.