Abdelilah Benkirane parle trop. Et il dit parfois des bêtises. Ce qui est la même chose. On ne compte plus le nombre de polémiques lancées par le goût du Chef du gouvernement pour la vanne.
Et ses confessions aux journalistes sont truffées de maladresses. Quand ses propos ne sont pas la résultante de la légèreté ou de l’imprudence, ils trahissent une faible maîtrise des dossiers. Confondre l’ONEE et l’ONHYM devant un parterre de cadres dirigeants, par exemple, est une prouesse dont lui seul a le secret. Il s’en sort souvent avec une boutade, mais pas assez pour convaincre une bonne partie de la presse de son pays — surtout francophone —, dans laquelle il est régulièrement attaqué, voire moqué. La sortie “hasardeuse” de Benkirane, selon les termes du communiqué du ministère des Affaires étrangères, sur l’implication de la Russie en Syrie était une erreur, et donc une aubaine pour ceux qui attendaient l’heure de la revanche en tapinois.
Ce communiqué, qui, tout le monde le sait, n’a pas été écrit ni même pensé dans le bureau de Salaheddine Mezouar, aurait pu avoir comme simple dessein de rassurer les Russes sur la politique et la vision marocaines des relations entre le Kremlin et Rabat. Il aurait pu, de manière dépassionnée, rectifier une erreur commise par le Chef du gouvernement. Sans l’humilier ni le décrédibiliser. Cet égard est absent des termes et du ton de cette missive envoyée officiellement par un ministre de Benkirane contre Benkirane. Ce que l’opinion retient des mots de la diplomatie marocaine, c’est un jugement sur le Chef du gouvernement : “Il n’est décidément pas sortable”, aurait-elle pu écrire tout simplement. Tout cela conforté par une télévision publique qui reprend les mêmes termes dédaigneux à l’égard du Chef du gouvernement, réduit à un simple “haut responsable de l’Etat marocain”. Il faudrait y voir la manifestation de quelque égard, mais, pour cela, encore doit-on maîtriser les codes du Makhzen.
Le recadrage de Benkirane par le Palais, car c’est bien de là que le mécontentement vient, est moins lié à la géopolitique qu’à la politique interne. Abdelilah Benkirane agace et irrite ceux qui, en ce moment même, travaillent dur pour la diplomatie marocaine — dont acte. Quand certains construisent une politique diplomatique pour le pays, Benkirane s’amuse à laisser parler son cœur en total décalage avec la réserve que lui impose sa fonction. Seulement, il n’est pas le seul dans cette affaire à manquer à son devoir. Le Palais et ceux qui le servent doivent respecter le rôle d’arbitre et de neutralité précieux à la monarchie, ne pas céder aux querelles et inimitiés personnelles, car quand ils le font, le message est brouillé. Ils se livrent là à un spectacle que nous n’avons pas envie de cautionner, comme ces combats de boxe tellement déséquilibrés qu’il n’y a plus d’enjeu. Quel est le message de ce jeu de massacre ? Que le roi est la seule institution décisionnelle ? Que le Chef du gouvernement ne doit pas être pris au sérieux ? Si Benkirane (ou un autre) ne sert à rien, alors arrêtons d’en faire un punching-ball. Et arrêtons de mentir sur le respect des (autres) institutions.