Au moment précis où ce bon Zakaria Boualem, usé par tant d’années de sarcasmes et de raisonnements tordus, cherchait vaillamment un sujet pour remplir cette page une semaine de plus, notre vaillante chaîne nationale s’est dévouée avec abnégation pour lui offrir ce qu’il cherchait.
Vous connaissez tous l’histoire : une émission de maquillage consacrée aux femmes battues, pleine de conseils judicieux pour faire disparaître les traces de coups, et la chouha s’abat de nouveau sur nos têtes sans pitié. Des articles partout dans le monde, une indignation générale, et notre belle image du Maroc — ce trésor national — un peu malmenée sur la Toile. Tout cela est désormais un rituel. Les animatrices avaient pourtant bien pris soin de prévenir que la dame maquillée n’avait pas été vraiment battue. Il faut sans doute se réjouir de cette précision. Au point où nous en sommes, on aurait pu penser qu’ils avaient amené un boxeur pour lui coller de véritables beignes avant le maquillage, conscience professionnelle oblige. Tout ceci était faux, donc, c’était juste un simulacre, on respire mieux. Il faut être honnête et signaler que la chaîne, dès le lendemain, s’est confondue en excuses. Il faut comprendre les responsables, les pauvres ! On les imagine arcboutés derrière leurs écrans, surveillant les programmes sensibles, multipliant les contrôles sur les journaux télévisés et les débats politiques, soucieux de maintenir l’équilibre sensible entre le besoin de maintenir un minimum de crédibilité et le devoir d’anesthésier le téléspectateur. Comment pouvaient-ils se douter que le délire surgirait d’une brave émission de maquillage ? C’est pourtant bien là qu’il a frappé, le grand kalakh, dont les ténèbres sont bien plus dangereuses pour notre pays que ces mystérieux ennemis extérieurs dont on nous rebat les oreilles. On ne peut pourtant pas reprocher grand-chose aux animatrices de l’émission, qui n’ont fait que reproduire sur un visage humain ce que nous faisons subir à notre pays à plus grande échelle.
Plus qu’un art, la cosmétique est chez nous une véritable politique, vous le savez aussi bien que le Boualem. N’oubliez jamais que nous savons planter des arbres amovibles en cas d’urgence, ce n’est pas rien. Passons. Dans la foulée, on a vu surgir une multitude de vidéos abominables où des héros du Maroc moderne exprimaient, sans complexes, leur conception de la relation amoureuse, vue en l’occurrence comme un sport de combat. Certains s’en sont émus, ce n’est pourtant pas une surprise. Dès que la femme est concernée, nous baignons dans une sorte d’ambiance médiévale sur laquelle la pseudo-modernité qu’on nous vend sans arrêt n’a aucune prise. Régulièrement, on entend parler d’une malheureuse femme violée, qui a préféré mettre fin à ses jours plutôt que de devoir affronter la honte et la justice, ou d’une autre qui a été chassée du commissariat où on lui a expliqué qu’il fallait qu’elle s’estime heureuse de ne pas avoir à y passer quelques nuits agitées. Voilà où nous en sommes. Pour que la société (y compris la police, la justice et les femmes) considère le viol comme une infraction, il faut qu’il concerne une femme très voilée (sinon elle était provocante) qui se promène en plein jour pour aller travailler dans un endroit très respectable (sinon qu’est-ce qu’elle foutait dehors), qui se fait agresser par un type très armé (sinon pourquoi elle n’a pas fui), et qui a perdu dans l’affaire sa virginité (sinon elle ne va pas nous emmerder pour pas grand-chose). Ça fait beaucoup de critères, vous en conviendrez les amis. Telle est notre réalité, hélas ! Zakaria Boualem n’a pas la moindre idée de la solution qui va nous tirer de cette abomination, mais il a l’intuition qu’une simple opération de cosmétique ne va pas suffire, les amis. Et merci.