Bien souvent, tu vis dans ta bulle, profondément insensible aux marées et autres fluctuations du monde. Mais il arrive que certains élans soient si forts qu’ils t’entraînent.
Et ces derniers jours, un sentiment de fierté patriotique t’a envahie. C’est qu’il s’est passé des choses formidables pendant ces deux dernières semaines autour de toi. Et du coup, en ce moment dans le plus beau pays du monde, tout va très bien, tout le monde se réjouit. Et toi aussi, forcément. À en lire les titres de presse, le monde entier est euphorique. Sur les JT des chaînes étrangères — les seules auxquelles tes compatriotes donnent du crédit—, le pays est cité, magnifié. C’est beau tout cet engouement. Tout le monde s’extasie. Tout le monde commente. “C’est magnifique”, “c’est historique”, “c’est grandiose”. L’avenir de la planète s’est joué ici. C’est super ! C’est peut-être même vrai d’ailleurs.
Mais toi, tu te demandes un peu où se joue l’avenir de ce pays. Tu ne veux pas jouer les trouble-fêtes ou être cynique pendant ces moments de liesse, mais c’est vrai que ton petit esprit et toi avez un peu de mal à comprendre deux ou trois trucs. Ça va peut-être un peu trop vite aussi. Il y a un mois, personne autour de toi n’avait fait une phrase en utilisant l’expression “tri de déchets”, et voilà qu’aujourd’hui on est tous devenus des super-écolos. Comment a-t-on réussi cet exploit ? Un programme d’entraînement intensif ? Une campagne de sensibilisation en profondeur ? Un changement radical d’état esprit ? Non pas vraiment ! Juste un évènement parfaitement bien organisé et une campagne de com’ impeccable. C’est largement suffisant et nettement plus simple à mettre en œuvre d’ailleurs. Et si le fond ne suit pas, ce n’est pas si grave. L’évènementiel c’est tellement plus efficace que les réformes. Et plus impactant aussi. C’est fou comme ne serait-ce qu’un logo, pour peu qu’il soit bien pensé et bien mis en valeur, peut donner l’illusion de la réussite. Et ici les logos ont sans doute plus d’impact que ce qu’ils sont censés représenter. Un logo et un évènement en grande pompe pour lancer un projet, voilà de quoi réjouir même les plus réticents. Et puis, ça peut fonctionner pour tout. On peut annoncer de grandes avancées, des plans quinquennaux, des levées de fonds historiques ou des chantiers extraordinaires.
On sait parfaitement faire ce qu’il faut pour faire sensation. Ce qu’il en advient après ? Peu importe. Qui ira vérifier après tout ? Il faut savoir apprécier l’existant sans se projeter. Tu vas donc arrêter de te poser des questions et te contenter d’applaudir la grandeur de ton pays. Déjà que c’était le plus beau pays du monde. Maintenant que c’en est devenu le centre pendant quelques jours, tu ne vas pas te plaindre. C’est formidable. Ça prouve à quel point tout va très bien. Ce qu’il en est concrètement de l’état de ce pays ne compte pas vraiment. L’état des écoles et des hôpitaux, les arbres qu’on détruit, les immeubles qui poussent, l’iniquité de la justice ou le surréalisme de l’administration ne sont pas à l’ordre du jour. D’ailleurs, tout le monde a mieux à faire en ce moment. Et puis, il n’y a toujours pas de gouvernement. Mais ça non plus, ce n’est pas très grave. Tu en viendrais presque à te demander à quoi sert ce potentiel gouvernement vu que tout a l’air de si bien fonctionner sans lui. Mais bon, tu n’oserais pas te lancer dans ce genre de conclusions hâtives. Tu te remets une couche de rouge à lèvres, ça te suffit pour aller bien.