Au début des années 1980, Mohamed Abed Al Jaberi, grand intellectuel marocain mais aussi l’un des fondateurs de l’USFP, a proposé la formation d’une alliance qui regroupe les partis de gauche, le jeune mouvement islamiste et les libéraux. L’objectif de ce rapprochement était de faire front commun contre les ennemis de l’époque, en l’occurrence “l’impérialisme et la colonisation”, et œuvrer ensemble pour une égalité sociale et une meilleure répartition des richesses dans le monde arabe.
Mohamed Abed Al Jaberi, influencé par les écrits du penseur marxiste italien Antonio Gramsci, appelle cette alliance “le bloc historique”. Un concept qui a fait florès depuis ce temps-là et a été repris par des générations d’hommes politiques et d’intellectuels, notamment marocains, soucieux de dépasser les divisions et les clivages idéologiques et souhaitant former une sorte d’“union sacrée” entre des pans entiers de la société marocaine. Après quelques années d’absence, ce terme de “Koutla Tarikhya” a fait son retour de nouveau en ces temps de tractations pour former le nouveau gouvernement. Des voix au sein du PJD, mais aussi à l’intérieur des partis issus du Mouvement national (Istiqlal, USFP, PPS), s’élèvent pour ressusciter l’idée d’El Jaberi. Selon les partisans de ce rapprochement, il existe actuellement une nécessité d’alliance entre ces partis, malgré leurs divergences idéologiques, pour consolider le processus démocratique et donner à la coalition gouvernementale un sens et une profondeur historique. L’idée est évidemment alléchante et intéressante. Personne ne pourrait contester un si noble objectif, consistant à placer les idéaux de justice sociale et de démocratie au-dessus des identités partisanes et idéologiques. Sauf que la réalité est différente.
Tout d’abord, historiquement, l’usage fait de cette idée de bloc historique a souvent été opportuniste et politicien. Les dirigeants des partis y ont eu recours soit dans des moments de faiblesse pour survivre et se maintenir à flot dans le paysage politique, soit pour envoyer des messages à l’Etat, lui signifiant leur capacité à s’allier à leurs adversaires du passé et perturber ainsi la nature du jeu politique. L’évocation d’une telle alliance ne correspond pas à une conviction profonde, elle n’est qu’un vernis, une légitimation a posteriori d’ambitions purement personnelles et claniques. On se place alors dans une posture intellectuelle, noble et rassembleuse, qui ne cache qu’un simple calcul personnel et opportuniste. Ce genre de démarche décrédibilise les partis et détourne les Marocains de la vie politique. Le risque aussi pour les formations politiques qui s’inscrivent dans cette démarche d’alliances larges et disparates est de perdre leur identité et leurs marqueurs traditionnels. De compromis en compromission, ces partis se désagrègent en cautionnant et en justifiant des lois et des situations qui ne correspondent pas à leurs valeurs. Le seul parti qui en sort gagnant, en maintenant intacts son discours et son identité, est le PJD. L’histoire et les électeurs ne pardonnent pas aux autres leurs choix.