L’exception marocaine aurait pu être une belle idée. Mais mal pensée, mal formulée, très mal défendue et surtout vidée de son sens, elle est devenue galvaudée. Après les printemps arabes, la stabilité du Maroc a inspiré ce mythe : le royaume, même s’il n’est pas une démocratie aboutie et que le mécontentement social y est une réalité criante, serait, seul, à l’abri de chamboulements majeurs. Pour faire court, disons que plus personne n’y croit. Ni le Palais qui ménage les frondes épisodiques. Ni le gouvernement dont le chef se plaît à répéter que la stabilité du pays lui doit beaucoup. Les Marocains savent tous que notre modèle est fragile et qu’il cache mal sa frilosité à l’égard de réformes majeures et nécessaires. Au nom de la stabilité, beaucoup acceptent que le pays soit paralysé. Il est pourtant possible de prôner l’audace quand d’autres s’évertuent à défendre l’immobilisme.
L’exception marocaine devrait être justement notre capacité à concevoir notre propre modèle de développement. En disant cela, nous ne cédons pas au relativisme culturel qui estime que la démocratie occidentale ne serait pas bonne pour tous. Il s’agit plutôt de prôner une démarche endogène. Un modèle de développement qui fonctionne est d’abord basé sur un régime politique légitime*. Et sur ce volet, le Maroc a une longueur d’avance. La monarchie fait l’objet d’un large consensus interne. Et le gouvernement dirigé par le PJD jouit de la légitimité des urnes, et représente beaucoup de Marocains qui se sentent exclus. Ce pouvoir à deux têtes est parfaitement digéré par la société.
Mohammed VI est en Afrique de l’Est pour défendre notre territoire, notre diplomatie et nos entreprises, et Abdelilah Benkirane essaye de constituer un gouvernement pour veiller au fonctionnement de l’État. Même si les relations entre le Palais et le gouvernement sont émaillées de tensions, aucun ne nie plus désormais la légitimité de l’autre.
L’autre paramètre essentiel pour créer les conditions de développement d’un pays est la confiance dans l’allocation des ressources, entre acteurs, dans les institutions et dans le futur. Le Maroc en manque terriblement. Les opérateurs économiques estiment par exemple que les fortunes se font et se défont non pas au travail et au mérite, mais selon la proximité avec le premier cercle du pouvoir, selon les deals qui peuvent être passés avec une partie de l’administration, selon des pots-de-vin versés ou pas, etc. Le Maroc a besoin d’un système capable de rassurer, d’allouer les ressources en fonction d’une vision et une logique cohérentes. Cette vision, il faut qu’elle soit partagée et qu’on en voie les résultats. Aujourd’hui on en est loin. Nous ignorons si une vision existe, et aucun système de régulation dans l’allocation des ressources ne fonctionne de manière centrale et transparente. Et comme c’est sous la férule du roi que les grandes réformes s’imposent à tous, c’est lui qu’il faut interpeller. Il est possible de faire du Maroc une belle idée. Mais laquelle ?