Ta vie en l'air. Inepties mondaines

Par Fatym Layachi

C’est samedi, tu n’as pas de programme particulier, tu vas passer l’après-midi avec Zee. L’amitié inconditionnelle est un des vrais délices de la vie : même quand il n’y a rien, il y a ça. A priori, aujourd’hui tu ne vas rien faire, mais tu vas le faire avec Zee. Tu es au moins sûre de rigoler et d’écouter ses histoires de mecs absolument improbables et probablement tordues. Ça t’occupera, vu qu’il ne se passe pas grand-chose. Ce n’est plus l’été. Ce n’est pas encore l’hiver. Il fait beau mais plus assez pour envisager d’aller à la plage. Il fait frais mais pas suffisamment pour aller boire un thé. Tu t’ennuies. Il fait tiède. Zee te propose d’aller à la campagne. Enfin, “campagne” est un bien joli mot pour dé- crire le plan dans lequel elle t’entraîne et qui n’a pas grand-chose à voir avec une quelconque poésie champêtre. En gros, vous allez chez un pote à elle dont les parents ont une maison à une demi-heure du centre-ville ; pas loin de ce qui était une forêt avant que le béton de promoteurs immobiliers un peu véreux et très ambitieux ne prenne la place des arbres. Mais comme au pays des aveugles, on n’est pas très regardant, ça s’appelle la campagne ! Et du coup tu te retrouves au milieu des potes de soirée de Zee, mais cette fois tu les vois à la lumière du jour et a priori tu aurais pu t’en passer. Tu es donc là, posée autour d’une piscine dans laquelle tu ne plongeras pas, au milieu de gens à qui tu n’as pas grand-chose à dire et qui n’ont sans doute pas grandchose à dire de toute façon. Un iPod est branché sur une enceinte Bluetooth. Une voix chante sur un beat censé être planant. Tu dois te croire dans un lounge. Tu as l’impression que la même chanson se répète. Tu te dis que tu serais mieux dans ton pull à capuche à regarder des séries. Mais tu es là, alors tu en profites. Tu souris. Tu prends des photos. L’endroit est joli. C’est instagrammable. Et aujourd’hui, ce qui n’est pas instagrammable n’existe pas. Alors tu fais des photos pour faire croire que ta vie est formidable et ça marche. Pour peu, tu y croirais toi-même. Mais il y a cet ersatz de beau gosse dont le look devrait être pénal depuis 1999 qui a décidé que vous alliez discuter et qui te ramène à ta réalité bien vide. Il a l’audace de porter une casquette Von Dutch, une ceinture Versace et est persuadé d’être irrésistible. Tant mieux pour lui finalement. “Heureux les simples d’esprit, car le royaume des cieux est à eux”. C’est bien ce que l’on dit ? De toute fa- çon, son esprit il s’en fout, c’est son compte en banque qui lui importe. Et pour le coup, grâce à Dieu et à la générosité de son père, il va très bien.

Alors il te parle avec l’assurance de celui qui peut tout acheter. Tu l’écoutes avec la politesse d’une fille qui s’ennuie. Il te raconte des inepties et te montre des photos de soirée. Tout y est : des lieux magnifiques, de jolis éclairages, des bouteilles à foison, de jolies filles qui sourient, des verres qui trinquent et surtout les bons filtres Instagram. Si ça se trouve, il s’est ennuyé dans ces soirées, mais peu importe, les photos sont géniales. Alors tu continues de lui sourire. La musique est de plus en plus forte. C’est bien plus pratique de ne pas s’entendre quand on ne veut pas se parler. Le temps passe, le soleil va finir par aller se coucher, il est temps de rentrer. Cette journée n’a eu strictement aucune valeur ajoutée. Tu n’as rien ressenti, rien appris, rien aimé, rien détesté. Rien ne t’a émue, rien ne t’a émerveillée, rien ne t’a mise en colère. C’était tiède. Mais avec quelques filtres et un bon cadrage, tu as vendu du rêve sur les réseaux sociaux. Et, finalement, la quête du like est peut-être mieux que celle du bonheur. Elle est plus simple en tout cas.