Ta vie en l'air. Le goût des autres

Par Fatym Layachi

Le mois d’octobre pointe son nez. L’automne semble pourtant ne pas encore être au rendez-vous. Toi, tu veux garder ton bronzage le plus longtemps possible. Autour de toi, les gens pensent déjà aux fêtes de fin d’année. Ta mère commence à ranger ses placards d’été pour faire de la place aux pulls en cachemire. Tu te sens en total décalage, tu as encore la tête pleine de soleil. La reprise se passait jusque-là plutôt en douceur et souvent en terrasse, mais ces derniers jours tu as l’impression que tout s’accélère. Entre les mariages et les festivals que Mawazine et le ramadan ont décalés à la rentrée, tu as l’impression d’aller de fête en fête et de robe en robe, comme une machine à sourire. Et puis, les vernissages reprennent, les collections sont arrivées dans les boutiques.

Des textos t’invitent à venir choisir tes fringues pour l’hiver et des mails te convient à venir admirer des œuvres d’art une coupette à la main. Du coup, ce soir, tu es à ce vernissage entourée de visages familiers et de plateaux de petits fours. Tout le monde s’extasie sur des tableaux gigantesques mais personne ne les regarde vraiment. La culture oui, mais uniquement si elle est convention sociale. Un tableau n’a de valeur que si elle est marchande. Tu croises ta tante, lui fais une énorme bise et trois compliments. Elle t’explique qu’en ce moment, elle est très passionnée par la sculpture. Tu veux bien la croire mais tu te demandes ce qu’elle y connaît. Tu ne juges pas. Tu fais sans doute pareil. Tu dois bien souvent te prendre de passion pour des choses auxquelles tu ne comprends rien. Et, surtout, tu ne crées rien, tu tentes à peine de te recréer un semblant de vie de fête en fête au gré de tes humeurs et des bulles. Il est 20 heures, tu t’es suffisamment montrée, tu as suffisamment souri et tu as félicité l’artiste. Tu rejoins Zee dans un endroit où la musique est déjà suffisamment forte pour ne plus réfléchir. Vous commandez une salade César avec la sauce à part et une bouteille de Chablis avec beaucoup de glaçons. A la table à côté, une jolie fille semble faire passer un entretien prénuptial à un garçon bien habillé. Elle est jeune. Elle est belle. Elle a du pouvoir d’achat. Elle sait qui elle est. Elle sait ce qu’elle veut. La clé de sa Fiat 500 –sûrement blanche- est posée bien en évidence sur la table. “Voilà ce que mon père m’a acheté, si tu veux m’épouser, tu dois faire mieux.” Tu les écoutes se regarder. Ils finiront peut-être ensemble. Tu es un peu triste. Tu penses à Lui. Tu remplis ton verre. Tu te demandes à quoi Il pense, avec qui Il est surtout. Tu l’imagines en train de raconter des histoires auxquelles Il ne croit pas à une jolie fille qui Le croit trop.

Tu es de plus en plus triste. Les hommes reviennent toujours selon Zee. A voir comment elle gère ses ex, tu te dis qu’elle ne doit pas avoir tort. Mais les souvenirs finissent-ils par revenir ? Ce goût de bonheur que tu as cristallisé dans la saveur d’une crème brûlée en terrasse en te noyant dans les yeux du Garçon, ce goût de bonheur reviendra-t-il ? Zee a un truc de fou à te montrer. Sa cousine lui a envoyé des captures d’écran d’une discussion torride qu’elle a eue avec le boss de ta belle-sœur. Sexe, mensonge et messenger : tous les ingrédients d’un scandale urbain sont réunis. Vous tenez le scoop de la rentrée. C’est fou comme le tberguig détend. Médire sur les tragédies des autres fait oublier la sienne. Tu as l’impression que ça va mieux, mais cette troisième gorgée de Chablis te rappelle que rien ne va. Peut-être que tu devrais t’intéresser à la peinture finalement, ça t’élèverait.