Le tahakkoum (mainmise), voilà le thème principal de la campagne électorale des législatives 2016. Un thème imposé par le PJD. Preuve s’il en fallait, de l’intelligence politique de Abdelilah Benkirane. Le Chef du gouvernement, au lieu de défendre son bilan, a trouvé la parade. Même si on ne peut pas dire qu’il l’a inventée. La mainmise du Makhzen n’est pas apparue avec le gouvernement Benkirane, elle remonte aux premières heures de l’indépendance, dès 1959, quand l’UNFP, fondée par Mehdi Ben Barka, dénonçait l’opposition de forces occultes à tout changement. Les fameuses “poches de résistance” ont également pesé sur le mandat de Abderrahmane Youssoufi. Qu’aujourd’hui le Palais veuille faire taire les politiques qui s’érigent contre le tahakkoum est désolant pour les démocrates qui sommeillent en nous, mais ce n’est pas surprenant. Le pouvoir central marocain n’a que très peu changé et sa constance est de dominer la vie politique. Seule sa pérennité compte.
Cette triste réalité marocaine, Benkirane ne peut pas faire semblant de la découvrir. Il la connaît parfaitement puisqu’il en a accepté les règles pendant cinq années. Le chef de l’Etat ce n’est pas lui. L’interventionnisme du Palais et des conseillers royaux, les coups de fil de Fouad Ali El Himma, l’hégémonie de l’Intérieur, il s’en est jusque-là accommodé. A la première brimade qu’il essuyait, au premier rapport de force qu’il perdait, Benkirane aurait pu démissionner et provoquer ainsi une crise institutionnelle. Mais il n’est pas “un héros”, comme il l’a avoué lors du “Grand oral de Sciences Po”, dont il était l’invité le 17 septembre. Son choix est le même que celui de Abderrahmane Youssoufi avant lui. Et Benkirane devrait essuyer les mêmes reproches. Le premier que nous lui adressons est de ne pas avoir saisi l’opportunité démocratique ouverte en 2011.
Demain, Abdelilah Benkirane et ses “frères” vont-ils réellement tenir leur promesse de campagne et lutter contre le tahakkoum? Le zaïm islamiste avait fait campagne en 2011 “contre la corruption et l’autoritarisme”. Cinq ans plus tard, il a échoué sans avoir mené le combat. Certains peuvent avancer que d’autres combats étaient prioritaires : relancer une économie à l’arrêt, réformer l’éducation et la santé, par exemple. Autant de chantiers sur lesquels le gouvernement Benkirane n’a que très peu avancé. Le chef du PJD laisse à la fin de son mandat un pays avec une croissance de 1,5%, une éducation nationale agonisante, un système politique et économique toujours autant gangréné par la corruption… et un tahakkoum plus puissant que jamais.