Mohammed VI et ses plus proches collaborateurs, dont Fouad Ali El Himma, voient progresser les islamistes avec inquiétude. Quiconque s’intéresse à la scène politique marocaine – ou, mieux, a pu accéder à ses coulisses – l’aura constaté. Sans cette inquiétude, El Himma ne serait pas descendu dans l’arène politique en 2007, se plaçant sous les feux des spotlights et de la critique. Et s’il est vrai qu’il a retrouvé, depuis décembre 2011, le monde discret et mutique du cabinet royal, on peut douter que ses opinions aient changé. Or, la défiance vis-à-vis du projet islamiste, dont le PJD et Benkirane ne sont que les émanations les plus vocales et visibles, n’est pas l’apanage du Palais ou de ses conseillers.
Nous tenons à la défense d’une société ouverte. Et nous ne pensons pas que les valeurs de progrès et de modernité soient accessoires par rapport aux autres combats politiques ou institutionnels. La démocratie n’est pas que la volonté populaire. Le régime politique qui se base uniquement sur la loi de la majorité peut glisser vers une tyrannie. La démocratie passe aussi par le respect des minorités et donc des libertés individuelles. Ce n’est pas une “contradiction secondaire”, comme le répète Nabil Benabdallah. C’est la base de la démocratie. Quand Abdelilah Benkirane, Chef du gouvernement de tous les Marocains, réaffirme l’allégeance idéologique de son parti à Ibn Taymiya, icône du mouvement salafiste, quand il adopte un champ lexical guerrier (“verser son sang”, “martyr”, etc.), nous ne sommes pas sereins. Sans contre-pouvoirs, la nuisance du PJD pourrait s’avérer réelle et non plus seulement fantasmée. Confronter les islamistes n’est donc pas illégitime, c’est un combat politique qui peut se faire au nom de la démocratie. Mais il doit être mené “à la loyale”. Et, il faut le reconnaître, le Palais ne contre pas efficacement le danger islamiste. Aurait-il voulu le faire qu’il aurait misé à long terme sur l’éducation et le renforcement de l’État de droit et des institutions, seuls remparts valables contre les dérives. La réalité est que les islamistes ne gênent le Palais que quand ils viennent chasser sur son terrain. La monarchie instrumentalise aussi la religion. Heureusement pour le Maroc, pas de la même manière que les islamistes, mais toujours pas dans l’intérêt unique des Marocains.
Qui pour mener le combat pour la démocratie et la modernité ? Des protégés du Palais qui le font par opportunisme et de manière déloyale ou des militants sincères combattus à tous les niveaux ? Quand le Makhzen affaiblit les partis historiques, en les noyautant de ses hommes et en affaiblissant leurs leaders crédibles (et parfois critiques), le PJD se renforce. Quand le pouvoir s’attaque à des associations comme l’AMDH qui militent pour les libertés individuelles, il rend service aux islamistes. Quand le pouvoir musèle la presse, réduit l’espace de débat, ce ne sont pas les islamistes qui sont affaiblis, eux qui sont adeptes de la pensée unique. Quand la censure frappe nos œuvres cinématographiques, ce ne sont sûrement pas les islamistes les perdants. Quand on favorise les incompétents, les béni-oui-oui, le PJD exulte. Ce qu’on tue dans l’œuf, c’est l’engagement sincère pour un État de droit. Et ce n’est pas avec des communiqués incendiaires qui poussent les politiques au silence que l’on en prend le chemin.