L’été s’achève en pente douce. Les vacances sont terminées. Tu voudrais conserver ton bronzage le plus longtemps possible. Tu as fait couper tes pointes blondies par le soleil, tu as déjeuné avec Zee dans ce nouveau restaurant déjà à la mode et repris tes mondanités urbaines. C’est qu’il y en a des choses à discuter dans les salons. Le mois de septembre, c’est aussi la reprise de l’activité favorite du plus beau pays du monde : commenter les faits et gestes de ses concitoyens. Tellement plus simple et exutoire que de tenter de vivre pour soi ! Et bien évidemment, cet été n’a pas dérogé à la règle : il s’est passé un tas de choses. Depuis la fin du ramadan, il y a eu un bon lot de scandales, de nouvelles improbables et de tberguig croustillants qui vont animer tes discussions en famille.
Mais la nouvelle qui a fait le plus de buzz, celle dont tu vas parler le plus longtemps, celle sur laquelle tout le monde a un avis, celle que tout le monde colporte et commente, est incontestablement l’affaire des amants du MUR. Pour rappeler les faits, les deux vice-présidents du Mouvement unicité et réforme, le bras idéologique du PJD, des encore plus barbus que les barbus au pouvoir donc, ont été surpris “en flagrant délit d’adultère” dans une voiture garée devant une plage. Cette simple accusation t’apparaît déjà comme une aberration. Tu ne vois pas pourquoi l’adultère devrait être pénal. L’adultère est une violation des vœux sacrés du mariage, ça ne doit donc concerner que les époux. Tu ne vois pas en quoi c’est l’affaire de la police. Mais bon, l’État a de plus en plus tendance à se prendre pour ton père ou ton grand frère. Enfin bref, pour se défendre, les amants ont commencé par affirmer qu’ils étaient liés par un mariage coutumier. Ils ont donc tenté de halaliser leur fornication. Tu te demandes depuis quand le mariage coutumier est reconnu au Maroc. Là encore tu ne peux que te désoler de ce subterfuge hypocrite digne du plus grandiose des Tartuffe. Mais, au-delà du scandale, tu trouves toute cette affaire d’une tristesse sans nom. C’est finalement triste pour ce pays à qui cette histoire ressemble tellement. C’est qu’il y a partout de grands moralisateurs de salon, des apôtres de la bien-pensance, des prophètes du “faites ce que je dis mais surtout pas ce que je fais”. Après les ministres qui prônaient l’arabisation en prenant bien soin d’inscrire leurs enfants dans des écoles françaises ou américaines, voici l’ère des religieux qui condamnent le moindre sourire entre deux personnes de sexe opposé et s’envoient en l’air tristement à la lueur d’un réverbère tout aussi triste que leurs corps. Mais la chose la plus triste pour toi dans cette histoire est de te rendre compte que deux adultes consentants soient réduits à se planquer dans une voiture pour avoir des ébats. Ce n’est pas immoral, ou contre-nature. C’est glauque. C’est glauque de se rendre compte que, dans ce pays, l’hypocrisie et le puritanisme aient gagné autant de terrain.
Toi, tu es prête à les défendre ces deux barbus de la cervelle, à défendre leurs libertés individuelles, leur liberté de penser et leur liberté d’aimer. Tu es même prête à te battre pour qu’ils puissent s’envoyer en l’air dans des conditions un peu moins sordides que l’inconfort graveleux d’une lugubre voiture. Mais eux, seraient-ils prêts à te défendre si cela t’arrivait, à toi ou à une de tes copines ? Ou veulent-ils juste faire tomber un voile hypocrite et obscur sur le peu de liberté dans laquelle tu te drapes ?