A la veille des élections prévues le 7 octobre, un constat cruel s’impose : le Maroc ne s’est pas défait de ses réflexes autoritaires. Cinq ans après le 20-Février, après l’espoir et les promesses, ceux qui chuchotaient à l’oreille du roi que ses concessions ont été trop importantes semblent l’avoir emporté. Mohammed VI, dans son discours du 9 mars 2011, promettait un “processus de consolidation de notre modèle de démocratie et de développement”. Il fallait laisser le temps passer pour juger sur pièces. Aujourd’hui, où sont les jalons nécessaires à ce processus ? Sûrement pas dans le contrôle étroit de la vie politique. Une tâche dans laquelle le ministère de l’Intérieur reprend de vieilles habitudes (lire le dossier de TelQuel n°729 du 2 au 8 septembre).
Tout le Maroc l’a compris, cette ingérence – ce “tahakkoum” disent les cadres du PJD -, à coups d’interdictions (meetings et sondages) et de contrôle des médias, en plus de rappeler l’instinct de domination du Makhzen, traduit le rejet des islamistes par le Palais. Ceci, et l’incompétence économique du gouvernement, expliqueraient d’ailleurs l’apathie d’une partie des élites face au grignotage des “acquis démocratiques”. Le pouvoir voudrait limiter la victoire islamiste, disent les uns, car le PJD pourrait remporter jusqu’à 130 sièges. Mais pour l’instant, nul n’ose imaginer, pour se débarrasser de Benkirane et de ses “frères”, que l’on touche aux urnes. Une régression de plusieurs décennies frapperait alors le Maroc. Tout l’enjeu de la séquence actuelle tient à cette ligne jaune.
Abdelilah Benkirane, d’ordinaire loquace et friand de combats de coqs, s’est mis en “grève de la parole”. C’est dire le sérieux qu’il accorde à la situation et l’inquiétude qui le traverse. Il sait que son expérience à la tête du gouvernement a beaucoup de similitudes avec celle de Abderrahmane Youssoufi. Comme ce dernier, le zaïm islamiste a dû composer avec les réalités du pouvoir politique marocain, en renonçant à certaines des attributions que lui offrait sur le papier la Constitution afin, croyait-il, de préserver sa relation avec le roi.
Benkirane a donc appris à s’autocensurer et à se taire quand sa conscience se révoltait. “Par devoir patriotique”, se justifie-t-il en privé. Il avait promis de démissionner s’il était amené à corrompre ses convictions, mais il n’en a rien fait. Le Chef du gouvernement se plaît à répéter que si le roi avait voulu le façonner, il ne l’aurait pas imaginé aussi parfait que la copie originale. Ce zèle, pour montrer patte blanche, a réduit l’expression publique du désaccord. Et l’interdiction de cette expression – même entre le Chef du gouvernement et le Chef de l’Etat – définit les régimes autoritaires.