Quand les Ouléma de Fès soutenaient la lutte anticolonialiste en Algérie

L'histoire est aujourd'hui méconnue : l'émir Abdelkader, héros algérien, s'est tourné vers les ouléma de Fès pour légitimer son combat contre les envahisseurs français. Le Makhzen en profita pour s'offrir un épître de politique intérieure.

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Aujourd’hui que les frontières entre l’Algérie et le Maroc sont fermées et les relations entre les deux pays plutôt froides, l’épisode peut paraître étonnant. Pourtant, ce sont bien des ouléma de Fès qui ont, en partie, légitimé le jihad contre les colonialistes français, en soutenant l’émir Abdelkader, aujourd’hui héros national et figure de la résistance.

Pas de frontières

Nous sommes entre 1832 et 1840. Abdelkader, né en 1808 près de Mascara (non loin de Tlemcen et du Maroc), a commencé à combattre les français qui colonisent son pays. Abdelkader ne manque pas de légitimité. Fils d’un cheikh de la Qadiriyya, lui-même exégète, il lui faut tout de même un aval sur le plan religieux. « Ce jeune chef qui aspire à fédérer tribus et confréries de l’ouest algérien est un héritier de la culture impériale ottomane, dans laquelle il sait que c’est le calife d’Istanbul qui donne son aval pour le djihad mené en son nom. Or l’autorité du sultan d’Istanbul a été chassée d’Alger deux ans auparavant, quand les Français ont expulsé les Ottomans des villes côtières » nous explique Pierre Vermeren.

À l’époque, le Maroc et l’Algérie, Fès et Tlemcen tout particulièrement, entretiennent de fortes relations économiques et culturelles, et c’est « très naturellement » nous dit l’historienne américaine Amira K. Bennison que Abdelkader s’enquiert auprès de Fassis. À l’époque, « l’autorité suprême était impériale et religieuse, sans considération de nationalité » précise Vermeren. Et d’ajouter : « La notion de frontière n’avait pas la même signification qu’aujourd’hui. » Résultat : Personne, d’un côté comme de l’autre, n’est embêté par l’intervention d’ouléma fassis auprès d’un résistant algérien.

Des questions et des réponses politiques

L’émir Abdelkader ne demande pas tant, remarque l’historien Abdellah Laroui, « comment combattre les envahisseurs ? Mais plutôt : comment organiser la communauté pour être prêt à les combattre ? ». Le sultan marocain Moulay Abderrahmane a tout intérêt à ce que les ouléma fassis répondent, remarque l’historien. Le sultan, comme Abdelkader, fait face à des problèmes de politique intérieure et son pouvoir est en butte aux solidarités tribales. Une réponse favorable à l’unité de la communauté musulmane, alors que les Français lorgnent aussi le Maroc, est de nature à consolider son assise.

Le principal a’lem chargé de répondre rédige donc, non seulement une lettre favorable à l’action d’Abdelkader, mais aussi, toujours selon Laroui, un véritable « précis de politique makhzénienne ». L’épître insiste par exemple sur le fait que la zakat doit être perçue de force chez les gens aisés. Et Laroui remarque, fait parlant, que la réponse des ouléma fassis à Abdelkader est réimprimée des décennies après son émission, alors que les relations entre le Makhzen et les tribus avaient empiré.

Un document historique

La réponse fassie a beau être aujourd’hui quelque peu sortie des mémoires, elle n’est en rien anecdotique. C’est ainsi bien grâce à « l’imperium obtenu qu’Abdelkader a l’autorité pour réclamer aux tribus le paiement de l’impôt et des hommes pour édifier son État et conduire la guerre » précise Vermeren. C’est un peu grâce à elle qu’il mène son action militaire, politique et religieuse, qui restera dans l’histoire. D’un autre côté, la réponse des ouléma de Fès continue à être citée des décennies durant par les religieux et notables makhzéniens.

 

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