Ce n’est pas une fuite orchestrée par le PJD à la veille des élections, se défendent les uns. Ce n’est pas du vol ni du trafic d’influence, encore moins de la corruption, répondent les autres. Pour nous, l’affaire des “terrains des serviteurs de l’État”, révélée par nos confrères de Lakome et Hespress, est symptomatique d’un système du mépris. Ce système cultive l’opacité, distribue les prébendes et refuse de rendre des comptes. Il méprise le peuple et s’agace quand celui-ci se rebiffe. Et quand il se pique d’éteindre le feu, il ne fait qu’aggraver son cas avec arrogance.
Accorder des terrains qui appartiennent à l’État, et donc aux Marocains, à des prix préférentiels est une affaire politique, qui ne peut se résumer à la légalité ou non d’un décret. Les millions d’âmes qui se saignent à travailler, et qui payent des impôts, ne sont pas les obligés des “serviteurs de l’État”. C’est tout le contraire. Avant de disposer de terres qui appartiennent – symboliquement – à tous les Marocains, il aurait fallu leur demander ce qu’ils en pensent, ces mêmes Marocains. Ou au moins leur faire la politesse d’exposer de manière transparente les rentes accordées pour “loyaux services”. Le mépris est au cœur de la conception du pouvoir du Makhzen. Il est d’ailleurs piquant que les défenseurs du “circulez, il n’y a rien à voir” se prévalent d’un décret datant des années 1990. Autre temps, autres mœurs ? Pas du tout.
À ceux qui pensaient que ce mépris avait disparu avec l’ère précédente, le communiqué des ministères de l’Intérieur et des Finances est là pour rappeler qu’il n’en est rien. En voulant défendre le dernier “serviteur de l’État” à avoir acquis un terrain de 3700 m² appartenant au domaine privé de l’État pour 350 dirhams le mètre carré, Mohamed Hassad et Mohamed Boussaïd ont joué aux pompiers pyromanes. L’opération est légale disent-ils. C’est la faute au PJD, insinuent-ils. “Il s’agit d’une campagne électorale prématurée visant à engranger des gains électoralistes étriqués sous prétexte de mettre en œuvre les règles de la bonne gouvernance”, osent-ils. À aucun moment, ces deux autres “serviteurs de l’État” ne semblent voir de conflit d’intérêt à défendre un privilège dont ils ont eux-mêmes bénéficié, ce qu’ils se gardent bien de mentionner. Ces hauts responsables sont sûrement intègres et dévoués – aucune preuve du contraire n’a été apportée –, mais se dire uniquement victimes d’une manœuvre oblique électoraliste est tout simplement à côté de la plaque. La condamnation de l’opinion publique est inévitable. En refusant de s’expliquer au parlement, et même de s’y présenter, ces deux ministres ont eux aussi signifié toute la considération qu’ils ont pour les Marocains.
Cette petite musique teintée de mépris, jouée par nos dirigeants depuis trop longtemps et qui commence à nous écorcher les oreilles, est aussi merveilleusement interprétée par les hommes d’État du PJD. On entend, sous couvert d’anonymat, les cris de victoire des élus islamistes qui voient dans ce scandale la garantie de leur triomphe prochain. Voici la preuve, claironnent-ils, que l’épouvantail que nous agitons, cet État profond si précieux à notre rhétorique politique, existe bien. Une posture commode, mais qui ne nous fera pas oublier qu’ils ne sont plus aujourd’hui de simples spectateurs du jeu politique, mais des acteurs de premier rang. Et que le peuple, qu’ils convoquent à tout bout de champ, ne manquera pas un jour de leur demander des comptes. C’est seulement au terme d’un profond changement des modes de gouvernance que la reddition des comptes sera effective. En cinq ans, le PJD a-t-il seulement tenté de le faire autrement qu’en livrant à la vindicte populaire les noms de ceux qui bénéficient d’un système de rente ? Que les dirigeants islamistes ne soient pas tentés de nous mépriser eux aussi, en imaginant qu’aucune explication ne leur sera exigée. Leur silence d’aujourd’hui est déjà une faute.