À l'épreuve du temps. Erdogan, le coup d’État et nous

Par Abdellah Tourabi

Après la fascination pour les séries télévisées turques et les vacances passées à Istanbul ou à Bodrum, les Marocains se sont découvert un intérêt soudain pour la vie politique turque. Le coup d’État manqué du 15 juillet et les purges effectuées par le président Erdogan ont été à l’origine d’interminables débats et réactions dans la presse et les réseaux sociaux. Exit la polémique autour des “déchets italiens”, peu importe que les députés votent une loi importante sur la réforme des retraites, ce qui intéressait le commentateur national est de savoir si le putsch était légitime ou pas. Mais au fond, cet intérêt pour les péripéties de la république turque cachait des positionnements propres au royaume du Maroc et sa vie politique nationale. Les prises de position, les commentaires et “les analyses” correspondaient plus à nos divergences locales, à nos clivages, aux idéologies qui traversent notre société et à nos perceptions de la démocratie, à la laïcité et aux notions de majorité et de minorité. En prétendant regarder vers Ankara, les Marocains faisaient de l’introspection et parlaient d’eux-mêmes et de leur politique.

Il y a donc des conclusions et des leçons à tirer de ces événements. Tout d’abord, il y a cette nuit du 15 juillet, où une grande partie de la population turque est sortie dans les rues pour dire “non” au putsch. Une admirable réaction populaire, accompagnée d’une exemplaire attitude morale des partis laïcs et nationalistes, pourtant adversaires d’Erdogan, et qui ont refusé de souscrire au coup d’État. La réaction des manifestants traduisait les vertus de la démocratie et comment elle peut faire descendre des milliers de gens dans les rues pour la défendre et soutenir un gouvernement légitime. Seule la démocratie, dans sa capacité à garantir la liberté et l’égalité aux citoyens, est susceptible de produire un tel effet. En tant que Marocains, la meilleure garantie de la stabilité du pays est de passer à un véritable État démocratique.

Ensuite, il y a les réactions que l’on a pu observer dans la presse et sur les réseaux sociaux. Les Marocains qui ont soutenu le coup d’État, sous prétexte qu’il défend la laïcité et la modernité en Turquie, ont commis une faute morale grave. Par principe, et s’appuyant sur des valeurs morales et politiques élémentaires, on ne peut pas applaudir un soldat qui quitte sa caserne pour renverser un gouvernement élu, fût-il islamiste et conservateur. Ce dernier ne peut être remplacé que par la voie des urnes, la conquête de l’opinion publique et le long travail des idées. Un pouvoir islamiste élu peut être vaincu à travers les élections, mais un pouvoir autoritaire ou militaire a besoin d’une guerre civile pour le faire vaciller. Les Égyptiens et les Algériens en savent quelque chose. Les gens de gauche et les modernistes qui se sont enthousiasmés pour le putsch doivent avoir honte. Idem pour les islamistes et les conservateurs marocains qui soutiennent les purges ordonnées par Erdogan au sein de l’armée et de l’administration turques. Cette position ne peut que nourrir la suspicion et le doute sur la vision des islamistes à l’égard de la démocratie, accusés d’en faire un tremplin vers l’exercice d’un pouvoir absolu. En parlant de la Turquie d’aujourd’hui, certains y voient des intentions pour le Maroc de demain.