Zakaria Boualem et le coup d'État

Par Réda Allali

Salut à vous, glorieux forçats de la construction du MarocModernesarl, ce siècle sera le témoin de votre noble sacrifice. Tout va très vite, les amis, les évènements se succèdent à une telle vitesse qu’il va falloir transformer cet hebdomadaire en quotidien si on veut suivre le rythme. Zakaria Boualem est un peu sonné, il a passé une semaine épuisante, marquée par une succession invraisemblable d’événements marquants et pour la plupart, hélas, dépourvus de sens. Prenons par exemple cette étonnante tentative de coup d’État en Turquie. Un putsch à l’ancienne, avec les chars dans la rue, la confiscation de l’antenne et quelques bombardements en bonus. Notre héros pensait que ce genre de folies était devenu le monopole exclusif de notre continent. Et voilà que la grande Turquie, qu’on croyait avoir émergé des ténèbres depuis longtemps, nous la joue vintage. Back to the past, baby… Avec à la clé un formidable communiqué de l’armée qui explique benoitement qu’elle compte défendre la démocratie par cette initiative catastrophique. Puissant argument, même si on ne sait pas exactement si elle a réussi à convaincre un seul bipède. Donc, ces militaires, sans même le soutien de l’opposition, décident de prendre le pouvoir par la force, avant de se vautrer lamentablement, mis en échec par la mobilisation populaire obtenue par Erdogan suite à une conversation Facetime passée en direct à la télévision. Si on rappelle le déroulé des faits, ce n’est pas pour vous informer – vous êtes déjà au courant –, mais bien pour consigner par écrit ces évènements, tant ils semblent incroyables. La réalité commence à ressembler à une série télé, les amis, on ne sait plus très bien qui s’inspire de l’autre. Vu la charge d’absurde portée par cette initiative, il n’a fallu que quelques instants pour que nos compatriotes, soudains experts en politique turque, produisent quantité de théories du complot, où se mêlent joyeusement le côté machiavélique d’Erdogan, l’impérialisme américain, la félonie sioniste, et un peu d’Arabie Saoudite et d’Iran. Essayez un peu de caser tout ça, ce n’est pas facile. Il y a des gens courageux, il faut saluer leurs efforts.

Zakaria Boualem aimerait bien croire à ces théories, car elles mettraient un peu de logique dans ce chaos, mais il a développé la certitude depuis quelques années qu’il n’y a rien à comprendre. C’est juste que tout le monde a décidé de faire n’importe quoi à peu près au même moment, c’est tout. Regardez par exemple ce spectaculaire crétin de Nice. On nous explique sérieusement qu’on a affaire à un type qui s’est radicalisé en une journée. Il passe donc le ramadan tranquille à bouffer du porc toute la journée et à chatter sur les réseaux gay et, soudain, après l’Aïd le petit, il se radicalise et fait péter une ville. Quelle étonnante évolution, reconnaissez-le… Zakaria Boualem, pourtant habitué à nager dans le délire depuis de longues années, constate qu’il n’a jamais eu affaire à une telle intensité. Certes, on avait bien expliqué à notre héros que l’idéologie terroriste avait un avantage séduisant : elle promet d’atteindre l’excellence en quelques jours alors que tous les autres domaines de l’activité humaine – du football à la plomberie, en passant par le guembri – nécessitent des années de travail. Le Guercifi avait bien compris cet argument, mais jamais on ne lui avait parlé de délais aussi courts… Mais qui ment ? C’est un mystère, moins effrayant que la perspective d’imaginer que tout ceci soit vrai. À quoi peut-on s’attendre dans le futur ? À une militante des Femen qui, après s’être radicalisée en deux minutes, se met à mordre tout le monde les seins nus en criant “Allah akbar” ? À un alcoolique lui aussi subitement radicalisé entre deux verres, et qui décide de noyer les autres clients dans un fût de bière ? Bon, faisons comme si tout était normal, et restons souples sur nos appuis. Voilà la seule option raisonnable, et merci.