Ta vie en l’air. Écran solaire

Par Fatym Layachi

Pendant un mois, chacun a exhibé sa foi et ses plus belles jellabas. Ton oncle s’est affiché dans les mosquées les plus en vue, ta tante a organisé des soirées prières et jus de grenade, ta mère a fait découvrir à toutes ses copines le sellou sans gluten et ton père a beaucoup soupiré.

Maintenant, c’est terminé. La sacralité est mise de côté, jusqu’à l’année prochaine. Tu ne joues plus aux cartes toute la nuit, Zee ne fait plus de sport tous les jours et ton cousin ne se réveille plus une heure avant le maghreb. La vie quotidienne a repris son cours. Et surtout, tu vas enfin à la plage ! Activité qui t’était tacitement déconseillée ces dernières semaines. Tu ramasses quelques affaires dans ton nouveau panier brodé et tu passes prendre Zee. Musique à fond et lunettes visées sur le bout du nez, vous voilà parties pour passer une journée ensoleillée.

La simple idée de faire trempette et de sentir le sable chaud te remplit de joie et te donne envie de mettre la musique encore plus fort. Tu adores aller déjeuner à la plage. Inutile de préciser que tu ne vas pas déjeuner sur la plage, tu n’es pas exactement une adepte des pique-niques et des glacières. Non, tu vas déjeuner dans un resto très sympa, construit au bord de l’eau et dans lequel tu as tes habitudes estivales. Tu es dans un espace pas vraiment clos, mais pas réellement ouvert non plus, avec forcément quelques visages familiers autour de toi. Vous prenez une table et des transats. Vous commandez une paella, du rosé et beaucoup de glaçons. Tu sens que tu vas passer une super après-midi. Zee enlève sa robe et tu étales ta serviette sur un transat. Tu sors les magazines que tu as pris avec toi et ta pochette de produits. Tu dénoues ta jupe paréo. Tu te tartines de crème solaire, tu t’allonges pour te faire caresser par les rayons du soleil et te laisser bercer par le bruit des vagues et la voix de Zee qui te raconte son dernier dîner improbable. Tout va bien. Tu te dis que tu pourrais rester comme ça des heures ou même des jours. Il est temps de se rafraîchir. Tu vas te baigner. Tu te lèves et commences à marcher vers l’eau. Une femme en sort et te regarde de haut en bas avec dégoût. Elle semble gênée par la vue de tes jambes, ou peut-être de tes bras, à moins que ce ne soient tes cheveux. Tu es à la plage. Tu es en maillot. Tu trouves ça normal. Tu ne vois pas ce qu’il y a de malsain. Tu ne te sens pas impudique, tu ne te sens pas indécente. Tu es à la plage. Elle, par contre, est habillée. Elle vient de se baigner.

Elle est certes toute couverte, mais ses vêtements blancs sont trempés, donc transparents et moulants. Tu vois ses seins qui pointent et le galbe de ses cuisses n’a aucun secret pour toi ni pour aucune des personnes présentes sur la plage. Elle pourrait aisément être l’héroïne d’un film érotico-sensuel un peu kitsch qui émoustillerait tes petits cousins. Elle se croit drapée dans sa vertu, mais toi, tout ce que tu vois c’est qu’elle est suggestivement aguicheuse. Et tu es à peu près sûre que tu n’es pas la seule à voir ça ! Et ce serait toi l’indécente ? En plus, on ne voit qu’elle, c’est elle qu’on remarque le plus. Un peu paradoxal pour une soi-disant adepte de la pudeur. Ton maillot et toi vous passez inaperçu sur une plage. A priori, une femme en maillot sur une plage, c’est normal. Mais comme ici on aime bien prendre les choses à contre-pied, tu as un peu peur que la normalité ne s’inverse. Tu cours dans les vagues et profites du bonheur de sentir l’eau salée sur ta peau. Un bonheur tout simple.